Dessalement, transfert et résilience : la politique nationale de l’eau se redéfinit

Dans un royaume frappé par la sécheresse et l’épuisement des réserves hydriques, le dessalement d’eau de mer s’impose comme une réponse stratégique, à la fois pour les villes, l’industrie et l’agriculture. À l’horizon 2030, le Maroc vise plus de 1,7 milliard m³/an de capacité installée, grâce à une nouvelle génération d’usines à grande échelle intégrées aux énergies renouvelables, aux transferts d’eau inter-bassins et à une gouvernance renforcée.
Le Maroc fait face à l’un des épisodes de sécheresse les plus sévères de son histoire, avec des niveaux de remplissage des barrages à des taux historiquement bas. Dans ce contexte, la voie du dessalement apparaît comme un levier stratégique. Selon le ministre de l’Équipement et de l’Eau, Nizar Baraka, le pays exploite actuellement 17 usines de dessalement, en a quatre en construction, et prévoit d’en ajouter neuf autres d’ici 2030 pour atteindre une capacité totale de 1,7 milliard m³/an.
Des usines de dessalement à grande échelle
Les grands projets se multiplient. Près de Rabat, une usine conçue avec Veolia affiche une capacité d’environ 822.000 m³/jour (soit 300 millions m³/an). Elle est destinée à desservir les régions de Rabat-Salé-Kénitra et Fès-Meknès, soit près de 9,3 millions d’habitants. À Casablanca, un autre projet, en partenariat avec ACCIONA, prévoit une usine d’une capacité annuelle de 300 millions m³, financée à hauteur de 613 millions € (environ 6,5 milliards de dirhams).
L’agglomération d’Agadir voit son usine de dessalement s’étendre, passant de 275.000 m³/jour à 400.000 m³/jour, avec une mise en service prévue entre 2026 et 2027. Ce projet, qui comprend une forte intégration d’énergies renouvelables pour réduire les coûts énergétiques, permettra d’approvisionner en eau potable près de deux millions de personnes et d’irriguer environ 13.600 hectares de terres agricoles.
Le dessalement ne concerne pas seulement l’eau potable. Grâce à un prêt de la La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), deux usines, destinées à alimenter les complexes de OCP Group à Jorf Lasfar et Safi, seront construites. Elles devraient produire 35 millions m³/an d’eau de mer dessalée, dédiée à des usages industriels et agricoles dans des zones fortement stressées hydriquement.
L’enjeu énergie-eau
Le rapport «Powering Desalination with Renewable Energies in Morocco» de RES4AFRICA Foundation, met l’accent sur l’importance d’intégrer les énergies renouvelables (solaire, éolien) dans les usines de dessalement, pour maîtriser les coûts et réduire l’empreinte carbone. Ainsi, certains projets, comme celui de Sidi Rahal, au sud de Casablanca, visent une alimentation 100% renouvelable.
Le Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation (2020-2027) fournit le cadre politique et financier de l’ensemble de ces initiatives. Le dessalement s’inscrit désormais dans une vision plus large de gestion intégrée des ressources en eau, de transfert inter-bassins et de rationalisation des cultures à forte consommation d’eau.
Une trajectoire stratégie pour 2030
Ces progrès ouvrent la voie à de nouveaux défis d’optimisation. La généralisation du dessalement s’accompagne d’un effort continu pour améliorer l’efficacité énergétique des usines, maîtriser les coûts de production et valoriser les sous-produits issus du processus.
Le Maroc met également l’accent sur l’adaptation des réseaux et le renforcement de la logistique afin d’assurer une distribution équilibrée sur l’ensemble du territoire. Cette stratégie s’intègre dans une approche globale de gestion durable de l’eau, fondée sur la complémentarité entre dessalement, réutilisation, économie circulaire et préservation des ressources naturelles.
En combinant dessalement, transfert d’eau, gestion de la demande et hydraulique renouvelée, le Maroc pose les bases d’une sécurité hydrique renforcée. Le chantier de l’eau se transforme en chantier national structurant, associant technologie, territorialisation et résilience climatique.
L’économie circulaire de l’eau, une piste d’avenir
La réutilisation des eaux usées traitées s’impose comme le nouvel horizon de la gestion hydrique au Maroc. Longtemps cantonnée à un rôle secondaire, elle devient aujourd’hui un pilier de la stratégie nationale pour sécuriser les ressources et réduire la pression sur les barrages. Selon le secrétariat d’État chargé de l’Eau (2024), plus de 80 stations d’épuration disposent désormais d’un potentiel de réutilisation directe pour l’irrigation, l’arrosage urbain ou les besoins industriels.
À Khouribga, OCP alimente déjà ses installations industrielles avec plus de 5 millions de m³ d’eaux traitées par an, réduisant d’autant le prélèvement dans les nappes. À Marrakech et Casablanca, des projets pilotes de recharge artificielle des nappes phréatiques sont en cours, utilisant des eaux recyclées conformes aux normes environnementales.
Ces initiatives traduisent une évolution vers une économie circulaire de l’eau, où chaque litre est optimisé, valorisé et réintroduit dans le cycle productif. Un modèle encore émergent, mais appelé à devenir un complément stratégique au dessalement et à la gestion intégrée des ressources.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO
 
				






