OPINION DU WEB

Le piéton dans la culture marocaine

©DR

Par Ahmed El Hattab

Le piéton est défini comme celui ou celle qui se déplace à pied. Selon cette définition, tous les Marocains sont des piétons. Ce n’est pas ce piéton-là qui nous intéresse. C’est celui qui est défini par rapport à une personne motorisée, c’est-à-dire par rapport à une autre personne qui se déplace au volant d’un véhicule (automobile, camion, car, autobus, moto, bicyclette, etc.). En d’autres termes, il s’agit du piéton qui, quotidiennement, se fraie tant bien que mal un chemin entre un flux de véhicules dont les conducteurs ne vouent aucun respect à la déontologie de la circulation notamment en milieu urbain.

A ce propos, il est légitime de se poser une question fondamentale à savoir :

Quel est le statut du piéton marocain ?

La réponse est très simple. La culture marocaine a engendré ou plutôt a enfanté deux genres de piétons. Il y a le piéton personne virtuelle et le piéton personne physique. Le premier a tous les droits, entre autres :

–   Circuler librement sans être le moins du monde gêné par un quelconque véhicule, ni par son bruit ni par ses gaz d’échappement ;

–   Circuler dans des endroits qui lui sont réservés ;

– Les véhicules s’arrêtent pour lui céder la priorité du passage même quand il n’emprunte pas les passages qui lui sont réservés ;

–   Les conducteurs respectent les feux signalétiques qui lui sont spécifiques ;

–   Ils font des signes courtois pour l’inviter à passer ;

–   Il est l’objet de civilités de la part des conducteurs (convenances, politesse, courtoisie, etc.)

–   Déontologiquement parlant, il est plus précieux que n’importe quel véhicule ; il est un citoyen à part entière, c’est-à-dire une personne reconnue par les conducteurs comme ayant des droits et des obligations ; etc.

Malheureusement, ce piéton personne virtuelle, comme son nom l’indique, n’existe que sur le papier. Dès que les conducteurs prennent le volant de leurs véhicules, ils le transforment en piéton personne physique n’ayant aucun droit en matière de circulation sauf celui de prononcer la Chahada avant de sortir de chez lui. Au lieu de revendiquer ses droits et leur mise en œuvre par les conducteurs, il doit tout simplement :

–   Être très vigilant s’il tient à sa vie ;

–   Oublier ses droits pour sauver sa peau ;

–   Faire en sorte que les feux qui règlent la circulation n’existent pas ;

–   Bien se mettre dans la tête, en dépit du bon sens, que ces feux ne sont pas faits pour lui mais pour les conducteurs de véhicules ;

–   Ne jamais réclamer ses droits de passage, sinon c’est le déclenchement de scènes de dispute, de discussions vives, d’échange d’insultes, d’altercations, de heurts, etc.

–  Bien faire attention à la rage des taxis, grands et petits, car pour ces derniers, le respect du piéton est une perte de temps et donc de clients. (Pour les conducteurs de taxis, la vie n’est pécuniairement précieuse que si elle est assise sur les sièges de leurs voitures) ; etc.

Paradoxalement, en cas d’accident, le piéton personne physique se transforme subitement en piéton personne virtuelle et retrouve tous ses droits. Cette situation est inquiétante dans la mesure où elle conduit à poser deux questions, elles aussi fondamentales :

Faut-il sacrifier des vies humaines pour que le piéton personne virtuelle et lepiéton personne physique ne fassent qu’une seule et unique personne ?

Ou

Faut-il tout simplement appliquer la loi pour éviter les pertes de vie ?

A observer ce qui se passe dans la vie quotidienne de nos villes, c’est l’indifférence totale. Tout le monde est responsable et personne ne l’est. Les citoyens sont livrés à eux-mêmes. Est-ce à eux de faire respecter la loi ? Bien sûr que non ! S’ils ont l’obligation de la respecter, ils n’ont pas la latitude, la légitimité et la capacité de la faire respecter. Mais ils aimeraient, pour le bien de tout le monde, qu’elle soit respectée par tout le monde.

Dans ce cas, enfreindre et transgresser la loi est en passe de devenir une norme. Le moins qu’on puisse dire est que la culture marocaine, grâce à son ingéniosité, peut aisément transformer une situation anormale, c’est-à-dire incompatible avec le bon sens, en une situation normale. L’anormal devient alors la règle et le normal l’exception à tel point que cette dernière, à bien des égards, suscite l’étonnement voire la dérision.

Dans le cas de la culture piétonnière marocaine, cette exception existe. En effet, quand les estivants se rendent à Tanger ou à Tétouan ou dans les petites villes environnantes (Mdiq et Fnideq), la première surprise qui les attend, c’est le respect des droits du piéton personne physique, celui-là même qui n’a aucun droit dans les autres villes marocaines. Il circule librement du fait du respect par les conducteurs de son droit de passage.

Comme l’anormal et le normal coexistent difficilement, ce sont les estivants qui trouvent des difficultés à s’adapter à l’exception et, ne pouvant se départir facilement de leur culture dénaturée, ils en deviennent des perturbateurs.

Cependant, il faut rendre à César ce qui est à César. En effet, si les droits du piéton personne physique sont bafoués par les conducteurs, il n’en demeure pas moins que ce piéton, lui-même, bafoue les règles de la circulation. Il traverse la chaussée, la rue, l’avenue, etc., n’importe comment et de n’importe quel endroit. Il ne respecte pas les feux de la circulation. Il arrête un taxi, un bus, etc., où bon lui semble.

Que faire alors devant une situation désastreuse et anarchique alors que le mal est bien enraciné dans la société et la culture marocaines ? A ce propos, s’agissant de l’ignorance des droits du piéton, il n’y a aucune différence de comportement ou presque entre le commun des mortels et la classe sociale dite éclairée. S’ils diffèrent par la qualité des véhicules qu’ils chevauchent, ils convergent vers le même but : ignorer les droits du piéton.

Est-ce une question d’éducation ? C’est certain ! Mais l’éducation à elle seule n’est jamais suffisante face à la nature humaine surtout lorsque cette dernière est guidée par le matérialisme, l’individualisme, le manque de civisme et de citoyenneté. L’éducation est un ensemble de principes qui sont à la base de la bonne conduite citoyenne. Qui dit bonne conduite dit déontologie. Pour que l’éducation et la déontologie fassent bon ménage, il faut en toute simplicité appliquer les lois qui garantissent ce bon ménage.

On a bien réussi à faire respecter l’usage de la ceinture de sécurité ? Aujourd’hui, cet usage est devenu un réflexe, une spontanéité, une habitude. Aujourd’hui, le port de la ceinture de sécurité n’est plus un acte fait pour échapper aux amendes, mais plutôt un acte fait pour épargner des vies humaines. C’est là un bon signe d’une bonne éducation, d’une bonne citoyenneté, d’un bon civisme et d’une bonne déontologie.

A quand le tour de la valorisation du piéton et de ses droits ? A quand le bannissement de l’anormalité de la culture marocaine ? A quand le piéton marocain pourrait-il traverser les passages à piétons en toute tranquillité ? A quand cette tranquillité observée dans les villes marocaines du nord serait généralisée aux autres villes du reste du territoire ? A quand les conducteurs marocains intégreraient-ils dans leur comportement la notion de respect des droits du piéton ?

Rien n’est impossible. Ce sont la volonté et la fermeté qui manquent.

Par ailleurs, le Maroc n’est pas un espace fermé. Il est bien ouvert sur le monde. Son image de marque est sans conteste tributaire, entre autres, d’une bonne régulation de la circulation des véhicules et des piétons.

Anecdote :

Un investisseur étranger a proposé à un homme d’affaires d’un pays en développement de faire du business. L’investisseur propose à l’homme d’affaires de venir le voir pour discuter de la faisabilité de leur projet. L’homme d’affaires l’accueille à l’aéroport. Après un court trajet en voiture, l’investisseur demande à l’homme d’affaires de retourner à l’aéroport. L’homme d’affaires, étonné, lui demande : « Avez-vous oublié quelque chose à l’aéroport ? » L’investisseur répond : « Non, je n’ai rien oublié. Mais c’est vous qui avez oublié de respecter les feux rouges ! »

A. E.


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