OPINION DU WEB

La recherche en sciences de l’éducation, outil absent dans les réformes éducatives

Par Ahmed El Hattab – Professeur de l’Enseignement Supérieur

Un système éducatif est une institution sociale. Instauré par, pour et dans la société, il est là pour répondre à ses besoins. Ces derniers, faisant l’objet d’une évolution continue, le système éducatif doit s’adapter à cette évolution. Cela revient à dire que ce système doit améliorer régulièrement ses performances. « Améliorer les performances » est une opération qui, pour être mise en œuvre, nécessite une connaissance approfondie dudit système. « Connaître profondément le système » nécessite la mobilisation de moyens humains qualifiés et d’instruments de travail, de diagnostic et d’investigation adéquats. La connaissance approfondie du système éducatif est la mission naturelle de la recherche en sciences de l’éducation. C’est cette recherche qui l’investigue pour en déceler les défaillances, les insuffisances et les lacunes. Elle est l’instrument par excellence auquel doivent recourir les bailleurs de fonds, les régulateurs, les éducateurs, les enseignants, les évaluateurs, les politiques, etc. pour appuyer et justifier leurs actions en faveur du système en question. Elle doit se situer en amont de la prise de décision et en aval de l’action.

En ce qui concerne le Maroc, le recours à la recherche en sciences de l’éducation n’est pas encore une préoccupation des décideurs et des politiques éducatives. Le système éducatif ne fait pas l’objet d’études et de recherches formellement et systématiquement demandées par les pouvoirs publics. Cette situation est anormale puisque le système éducatif marocain regorge de problèmes à tous les niveaux de son fonctionnement, de la sphère de régulation, de décision, de gestion, de gouvernance, etc. jusqu’aux détails de la pratique pédagogique, en passant par la formation des responsables des établissements scolaires et des enseignants, par la nature de l’évaluation, la complémentarité école/société, école/famille, etc.

Comment peut-on conduire valablement et efficacement une réforme du système éducatif sans l’apport de la recherche ? Prendre une décision dans le cadre de cette réforme revêt une importance capitale mais en même temps se présente comme une grande responsabilité. Toute décision non éclairée et non étayée par des arguments scientifiques issus de la recherche pourrait s’avérer, à plus ou moins long terme, inappropriée voire nuisible pour le système.

La recherche en sciences de l’éducation doit être considérée comme un outil et un auxiliaire incontournables de connaissance, de redressement, de perfectionnement et d’optimisation du fonctionnement du système éducatif. C’est une source continue de solutions innovantes. Elle doit impérativement trouver sa place dans la politique éducative.

Par ailleurs, il est à préciser que la recherche en sciences de l’éducation, ne se contente pas à investiguer, comme on a tendance à le croire, exclusivement les aspects qui ont un rapport avec la pratique pédagogique (Pédagogie, psychopédagogie, didactique). C’est une discipline qui regroupe tout un spectre de sous-disciplines qui touchent toutes les composantes du système éducatif sur les plans de l’enseignement, l’apprentissage, l’éducation, la régulation, la législation, la planification, la programmation, le financement, l’économie, l’évaluation, la conception des curricula, le rapport école/société, etc.

S’ajoute à tout cela le fait que le système éducatif est une organisation complexe dont les composantes sont nombreuses et étroitement interdépendantes. La moindre perturbation peut être à l’origine de dysfonctionnement ou désorganisation. La recherche en sciences de l’éducation est l’instrument idoine qui peut prévenir ou déceler ces perturbations et leur apporter des solutions.

Bref, les problèmes sur lesquels peut se pencher normalement la recherche en sciences de l’éducation sont nombreux. En voici quelques uns à titre d’exemples :

  • fonctionnement du système éducatif, ses fondements théoriques ;
  • fonction sociale, économique et culturelle de l’enseignement et de l’éducation ;
  • relation de l’enseignant à sa personne, à la citoyenneté, au civisme et à la déontologie;
  • appropriation de son rôle dans le système éducatif, dans l’établissement scolaire, dans la classe ;
  • appréhension de l’interaction Ecole/Société et Ecole/Famille ;
  • respect de l’égalité des chances, des diversités sociales des apprenants ;
  • la qualité en tant que facteur de performance du système éducatif ;
  • représentations du savoir, des programmes scolaires, de l’apprenant, des méthodes pédagogiques, de l’évaluation, de la communication, des manuels scolaires, etc.

D’une manière générale, la recherche en sciences de l’éducation peut porter sur des domaines plus larges en relation avec :

  • Education comparée (Connaissance et fonctionnement des systèmes éducatifs),
  • Politique de l’éducation,
  • Administration, organisation et orientation scolaires,
  • Histoire de l’éducation,
  • Sociologie de l’éducation,
  • Philosophie de l’éducation,
  • Psychologie de l’éducation
  • Technologie de l’éducation,
  • Economie de l’éducation,
  • Philosophie des sciences,
  • Histoire des sciences,
  • Sociologie des sciences
  • Épistémologie,
  • Didactique des disciplines,
  • Psychopédagogie,
  • Mesure et évaluation,  etc.

Après ces différentes clarifications, la question fondamentale qui a été posée ci-dessus mérite d’être reposée :

Comment peut-on conduire valablement et efficacement une réforme du système éducatif sans l’apport de la recherche ?

En effet, le système éducatif est un tout global dans le sens où il constitue une unité fonctionnelle. Vouloir réformer ce système sans les apports de la recherche en sciences de l’éducation, c’est entretenir une illusion qui tôt ou tard finit par décevoir. La réforme est beaucoup plus que ça. Comme son nom l’indique, elle consiste en un changement à caractère profond. Elle est plutôt le passage d’un paradigme (Vision,  conception dont les fondements théoriques sont situés dans le temps et l’espace) qui n’est plus opérant à un autre compatible avec les circonstances de l’heure. Fonder cette réforme sur quelques critères au détriment d’autres, c’est commettre une erreur qui, par le passé, pendant plusieurs années et dans de nombreux pays, a été derrière l’échec total de la mission de l’enseignement. Il faudrait donc aborder la notion de réforme dans un sens philosophique même et non dans un sens mécanique qui consiste à manipuler quelques paramètres du système éducatif. Pour réaliser une telle réforme, il faudrait tout simplement approcher cette dernière selon une vision globale et après mûre réflexion sur chacun des paramètres du système et sur leurs relations intrinsèques et extrinsèques.

La mûre réflexion, c’est la recherche en sciences de l’éducation qui peut l’assurer. Malheureusement, cette dernière n’a jamais été sollicitée pour ce genre de réflexion.

En effet, au Maroc, la recherche en sciences de l’éducation, comme déjà signalé, n’a pas encore trouvé la place qu’elle mérite dans les politiques éducatives. Entendre ici par recherche non pas les travaux qui se font au niveau doctoral à l’initiative des enseignants chercheurs et qui ne connaissent jamais le chemin de l’application, mais les travaux qui s’inscrivent dans une vision claire avec des objectifs précis, avec un financement de l’Etat et reconnus internationalement à travers des publications dans des revues indexées ou non.

Des tentatives ont été faites durant les décennies 80 et 90 pour former des chercheurs en sciences de l’éducation dans le cadre d’une coopération avec le Canada et la Belgique au niveau master (3ème cycle à l’époque) et au niveau doctoral. Malheureusement, les bénéficiaires de cette coopération, une fois de retour au pays, n’ont pas trouvé l’environnement et l’encouragement nécessaires pour mettre en œuvre les compétences qu’ils ont acquises à travers la formation par la recherche sachant que les deux pays en question comptent parmi les meilleures écoles du monde dans le domaine de la recherche en sciences de l’éducation. Les diplômes obtenus par ces bénéficiaires ont tout simplement servi à l’amélioration de leurs situations administratives.

Jusqu’à aujourd’hui, le système éducatif marocain continue à fonctionner comme s’il n’a nul besoin des apports de la recherche. Il continue à :

  • engloutir le quart du budget de l’Etat en amont avec des résultats décevants à l’aval ;
  • s’isoler de la société qui l’a mis en place ;
  • être la proie de l’immobilisme et de l’inertie ;
  • s’éloigner du monde du travail et de la vie active ;
  • générer des déperditions énormes durant les parcours scolaires ;
  • souffrir d’un manque flagrant de la qualité de ses prestations ;
  • donner de l’importance à la transmission et à l’accumulation du savoir chez les apprenants au détriment de leur épanouissement, leur émancipation et leur autonomie d’apprentissage; etc.

A un moment où le Maroc est entré dans une phase de développement sans précédent, il a besoin d’une école qui sort de sa sclérose et de son isolement. Une école qui soit placée au sein de ce développement, qui le renforce et l’enrichit par des valeurs ajoutées et par un capital humain de haut niveau qu’elle est censée produire. Malheureusement, l’école marocaine n’a pas cessé d’élire domicile dans les dernières marches du classement international des systèmes éducatifs. Il est quand même impensable et inimaginable que les gouvernements successifs qui, depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui, ont pris en mains la destinée de ce pays, n’ont pas pu élaborer des politiques éducatives pertinentes susceptibles de relever le niveau de l’école marocaine et la qualité de son enseignement. Les réformes se succèdent et le classement est toujours le même ou presque.

Si la volonté politique d’instaurer un système fort de recherche en sciences de l’éducation était là au moins durant les 30 dernières années, on aurait dû accumuler un riche patrimoine de connaissances sur notre système éducatif, et on aurait dû remédier à plusieurs problèmes qui gangrènent actuellement ce système. Le fait est que ce dernier a subi plusieurs réformes mais personne ne possédait les arguments scientifiques convaincants montrant qu’elles allaient réussir. Le résultat est le sacrifice de plusieurs générations d’apprenants qui sont les premières victimes d’un système éducatif défaillant. Par ailleurs, sacrifier ces générations c’est faire perdre au pays une bonne part de son développement.

En dehors des apports de la recherche en sciences de l’éducation, le système éducatif a, pendant longtemps, fait l’objet de tractations politiques qui n’ont fait qu’aggraver sa situation. On arabise une partie de l’enseignement (au nom du nationalisme arabe) puis, quelques années après, on revient sur l’arabisation. De nouveau, on arabise même les matières scientifiques. Et là, l’ouverture d’une parenthèse est primordiale. L’arabisation dans la région arabe est très en retard en ce qui concerne la traduction de la terminologie scientifique et technologique produite annuellement notamment par le monde anglo-saxon. Même la France n’arrive pas à franciser entièrement tout le vocabulaire qui voit le jour en dehors de son territoire.

La réforme du système éducatif ne doit, en aucune manière, faire l’objet exclusivement de tractations politiques. Quelles que soient les idéologies des partis politiques, elles doivent converger vers un seul et unique objectif, celui de l’intérêt de la nation et de son système éducatif. Peut-on concevoir que chaque parti politique ait son Maroc et son système éducatif à lui ? Le Maroc est un et son système éducatif est aussi un. La préoccupation majeure des partis politiques doit être l’édification, la préservation, le renforcement et la consolidation de l’unité des deux «un».

On peut avancer l’argument selon lequel des scientifiques et ce qu’on nomme des experts ont participé à la conception des différentes réformes du système éducatif marocain. Certes, mais il y a une grande différence entre un scientifique qui pratique la recherche et celui qui a quitté ses laboratoires depuis plusieurs années. Quand aux experts, il y a lieu de bien préciser qu’il n’est pas normal qu’un syndicaliste, un partisan d’un parti politique ou un membre de la société civile se transforment du jour au lendemain en experts de l’éducation et de la formation. Le seul expert est le chercheur en sciences de l’éducation qui s’introduit dans les rouages du système éducatif pour en déceler les dysfonctionnements et proposer des solutions argumentées scientifiquement à ces derniers. Les scientifiques et les experts ont certainement leur mot à dire mais les apports de la recherche en sciences de l’éducation émanent de l’investigation du terrain et non pas de la spéculation.

On peut également avancer que les experts ont une connaissance des autres systèmes éducatifs et, par conséquent, leurs contributions est importante. Personne ne dit le contraire mais ne pas oublier que si le système éducatif est défaillant, ce n’est pas parce qu’il n’a pas imité ou copié tel ou tel autre système éducatif. C’est parce que les politiques éducatives n’ont pas pu lui apporter des solutions adéquates. Y a-t-il une différence entre un apprenant canadien, belge, français, finlandais ou autre et un apprenant marocain ? Absolument non ! Ils ont tous des dispositions, des aptitudes, des ambitions, des aspirations, etc. La différence réside dans la voie suivie pour mettre à profit, mobiliser et faire émerger ces qualités. Ce rôle incombe à l’école mais cette dernière a échoué à le remplir. Le grand absent dans cette situation est la recherche en sciences de l’éducation. Que de temps perdu.

Devant un tel constat, les politiques éducatives doivent normalement faire de la recherche en sciences de l’éducation un outil prioritaire susceptible de contribuer au perfectionnement du système éducatif. Cela n’est possible que si l’autorité de tutelle de ce dernier manifeste une volonté politique délibérée avec une vision claire, un financement adéquat et un agenda précis. A propos de financement, pourquoi ne pas imaginer qu’une proportion de 0,010% du budget de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur soit réservée exclusivement à la recherche en sciences de l’éducation. Il suffit de comparer cette proportion aux coûts des déperditions annuelles.


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