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Marocopedia: une documentation inédite sur les régions du Maroc

À l’occasion du lancement de la Web TV de Marocopedia, Samir Taouaou, en charge des partenariats et de la coopération nous accorde un entretien exclusif. Il collabore depuis deux ans avec l’équipe de Marocopedia sur ses stratégies de développement et de croissance.

Propos recueillis par Olivier Rachet

Le siteinfo : Comment a germé ce projet d’encyclopédie en ligne ?

Samir Taouaou : À l’origine, nous avons eu le souhait de créer des émissions pour les jeunes, en réalisant notamment des contes marocains pour enfants. Quand nous avons entrepris cette aventure, nous nous sommes heurtés à une difficulté : le manque de documentation culturelle sur les régions – soit des données essentielles pour inventer les personnages, les lieux, les histoires. Au Maroc, il existe 256 grandes tribus, sans compter les formations sociales qui en découlent, ce qui nous amène à plus de 1400 tribus qui disposent notamment de leurs propres spécificités culturelles.
Ces sociétés tribales forment une toile nébuleuse de traditions. Partant de ce constat, nous ne pouvions pas créer des contes sans connaître les détails spécifiques de chaque tradition. Ce serait en effet manquer à la déontologie que de proposer un contenu anachronique et/ou inventé de toutes pièces. Ainsi, et devant l’urgence de numériser le patrimoine matériel et immatériel, nous avons commencé par effectuer ce travail de collecte, car aucune création cinématographique ne peut se targuer d’être historiquement fiable sans connaître le contexte et sans base documentaire solide. 


Le siteinfo : Qui sont les membres du Collectif ?

S. Taouaou : Nous sommes une équipe pluridisciplinaire de 25 personnes qui se compose de professionnels du cinéma et de l’audiovisuel, de journalistes, de traducteurs et de développeur IT. En tant que jeunes, nous avons favorisé la création d’une structure horizontale qui permet à tout un chacun de proposer ses idées et de mobiliser ses compétences. Parmi ses membres, Issam et Maha sont fondateur et co-fondatrice.  Et puisque Marocopedia se présente en 3 langues, la version française est dirigée par Houda Outarahout, journaliste et photographe, la version anglaise est co-signée par Robin Wijnhold et Jonathan McConnell, et la version arabe-amazigh est dirigée par un brillant jeune homme de 25 ans, membre de Marocopedia depuis ses 18 ans : Med Al Amine Elmir, linguiste. Au sein de la production audiovisuelle, nous avons la chance d’avoir des talents comme Reda Zniber, Sound Director et Karim Hapette, réalisateur, Martin Girard Seigneur, compositeur de musique et aussi la participation des photographes : Alice Dufour-Feronce et Youness Miloudi. Enfin, nous avons tout le côté design graphique et une création signée Mouad Manar, membre du collectif Skefkef.

Le siteinfo : Pour quelles raisons la plateforme numérique s’est-elle transformée en Web TV ?

S. Taouaou : Au départ, le projet était sous forme de plateforme participative (encyclopédique) permettant de partager les données sur le Maroc. Mais le manque de participation des utilisateurs – qui ont parfois du mal à proposer une information vérifiée – nous a poussés à revoir notre stratégie. Aujourd’hui, nous souhaitons offrir à nos utilisateurs un format plus simple, sans abonnements, et une information de qualité – vérifiée notamment par des experts. Après plusieurs tests, nous avons constaté que le format Web TV reste le plus accessible au public. L’utilisateur peut se connecter et cliquer directement sur les vidéos sans faire beaucoup de recherches sur la plateforme.

Le siteinfo : Maha Sano, co-fondatrice du projet soutient que Marocopedia vient combler « un vide numérique » et permettrait de lutter contre l’enclavement de certaines régions du pays. Ne craignez-vous pas de « folkloriser » au contraire ces régions ?

S. Taouaou : L’objectif principal de Marocopedia est de donner la parole à ces femmes et ces hommes qui souhaitent partager un savoir-faire, des traditions, des usages et des arts populaires, lesquels sont parfois en voie de disparition. Notre objectif n’est pas de pointer du doigt ce qui ne va pas, ou de montrer « une certaine réalité » – c’est plutôt le rôle des médias classiques et des associations militantes – mais plutôt d’être l’intermédiaire culturel entre ces régions et le grand public : proposer une information alternative et raconter des histoires sur ces peuplades. D’ailleurs, avant de traiter un sujet, notre équipe réalise un travail de terrain – en partenariat avec les associations locales, et échange constamment avec les habitants pour aller justement au-delà des clichés et des préjugés. Nous ne documentons que ce que nous observons sans en altérer l’essence.

Le siteinfo : Comment arriver à sensibiliser le jeune public ?

S. Taouaou : Nous essayons de dépoussiérer certaines habitudes en proposant des formats courts et pertinents (storytelling). L’arrivée du numérique a ouvert une nouvelle ère pour le court-métrage documentaire, et nous constatons cela avec l’arrivée des capsules vidéo proposées notamment par les plateformes Brut, Explicite, etc. Nous utilisons beaucoup les réseaux sociaux comme canal de diffusion des contenus pour toucher encore plus de jeunes utilisateurs. Enfin, nous sensibilisons également le jeune public via des ateliers, des formations au métier du documentaire, et nous organisons des projections de manière ponctuelle dans certaines régions.

Le siteinfo : Quels sont vos différents partenaires, institutionnels ou privés ?

S. Taouaou : Marocopedia est soutenue par plusieurs organismes et institutions tels que le Ministère de la Culture et de la Communication, l’Unesco et Net Med Youth, le British Council et le fonds Roberto Cimetta. L’Ambassade du Royaume des Pays-Bas au Maroc nous accompagne notamment sur la promotion des provinces du Nord. Nous avons plusieurs formats de partenariats que nous souhaitons développer dans le futur avec d’autres possibles partenaires privés nationaux et internationaux.

Le siteinfo : Issam Boutrig, fondateur du projet, dit constater « un manque de relais culturel » dans de nombreuses régions. Pensez-vous que votre initiative suffira à pallier ce manque ?

S. Taouaou : Notre initiative n’est qu’un maillon de la chaîne culturelle du Royaume. D’habitude, les relais culturels impulsent de réelles dynamiques dans les sociétés et nous souhaitons que notre  plateforme serve à insuffler une dynamique pérenne. En mettant les acteurs culturels sur une carte interactive – mapping présente sur la plateforme – et en proposant de mettre en relation les acteurs culturels et associatifs, nous arriverons à désenclaver les régions les plus reculées.

Le siteinfo : Comment comptez-vous pérenniser votre structure ?

S. Taouaou : L’un des modèles que nous suivons en ce moment est un benchmarking sur le modèle des Web TV américaines. Le but étant de proposer une vidéo documentaire ou une « playlist » de vidéo thématiques qui seront sponsorisées par des organismes privés et publics, tout en gardant une ligne éditoriale cohérente. Nous avons également des partenaires qui nous accompagnent dans le cœur de notre métier : la numérisation du patrimoine culturel via des fonds spécifiques dédiés à cette cause.

Le siteinfo : Comment arriver à accorder autant d’importance au patrimoine immatériel, prédominant au Maroc, qu’au patrimoine matériel ?

S. Taouaou : Le patrimoine vivant des communautés est toujours en constante évolution, répertorier les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants est un véritable challenge car ce dernier reste extrêmement fragile. Ce patrimoine inclusif peut être valorisé par la narration, le storytelling. Nous donnons la parole à des conteurs, des historiens, des anthropologues et des acteurs associatifs pour transmettre les valeurs sociales provenant de groupes minoritaires comme de groupes sociaux majoritaires.

Le siteinfo : Parmi les projets réalisés, lesquels vous tiennent le plus à cœur ?

S. Taouaou : Pratiquement tous les projets sur lesquels nous avons travaillés sans distinction. Dans chaque région, nous avons eu de magnifiques rencontres et avons tissé des relations humaines extraordinaires avec les locaux – avec qui nous gardons encore contact.  Par exemple, la vidéo sur le sloughi marocain a eu un effet positif sur l’éleveur, qui à ce jour nous garde deux lévriers comme offrandes, symbole d’amitié. On les récupèrera un jour quand on aura une ferme, qui sait ? Sincèrement, nous réalisons à chaque voyage que le Maroc est un pays très vaste, aux mille couleurs. Nous sommes toujours dans une perpétuelle sensation d’émerveillement… Rien n’est meilleur que l’autre, c’est la découverte et l’étonnement, la surprise et l’enchantement qui nous attendent toujours. Certains détails nous touchent plus que d’autres, surtout quand on apprend qu’une personne nous a quittés juste après avoir été filmée, et c’est le cas de feu Douami Omar, conteur avec qui nous avions l’ambition de retourner lors de la prochaine saison. Les projets de Marocopedia s’attachent à l’humain plus que tout. Nous sommes liés à ces femmes et ces hommes qui nous ouvrent leurs portes et partagent leur savoir-faire. Ainsi, nous sommes liés à la générosité des Marocains, une caractéristique unique dans le monde, et que nous souhaitons transposer sur notre plateforme.

Le siteinfo : Quels sont vos projets sur le plus ou moins long terme ?

S. Taouaou : Cette année, nous travaillons sur les régions du Nord, et plus particulièrement la région de Al-Hoceima et de Nador. Nous comptons également réaliser une série de documentaires sur les tribus Sahraouis. Une partie de l’équipe veut aller aussi à Azilal, et une autre souhaite travailler sur le côté méconnu de Rabat… À vrai dire, sur les prochaines années, nous gardons le cap de notre mission première : collecter la data. Nous espérons également développer davantage d’applications et intégrer de nouvelles technologies comme la réalité virtuelle.

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