Economie

Mohammed Yahya Zniber : “Les entreprises privées auront un rôle crucial à jouer”

«À chaque étape, il y a une réglementation qui doit être appliquée en termes de sûreté et de sécurité pour la production d’hydrogène vert et de ses dérivés». S’exprimant sur le rôle que peut jouer le secteur privé en matière de développement d’hydrogène vert et ses dérivés, Mohammed Yahya Zniber, président du Cluster GreenH2, met l’accent sur la nécessité de réviser le cadre règlementaire et légal, la mobilisation des financement nécessaires, mais aussi le potentiel du Maroc. 

À l’instar des énergies solaires et éoliennes, le Maroc s’est déjà positionné sur la production de l’hydrogène vert et ses dérivés. En tant que cluster constitué d’entreprises privées et publiques, quel sera le rôle du tissu privé en matière d’intégration industrielle pour le développement de la chaîne de valeur de cette filière prometteuse ? 
Comme vous le savez, l’hydrogène vert est le vecteur de développement et de transition énergétique des prochaines décennies et il ne faut surtout pas que le Maroc rate cette opportunité. Fabriquer de l’hydrogène vert n’est pas une finalité en soi et plusieurs facteurs déterminent la réussite des projets. Certains relèvent du secteur public, notamment le foncier et les infrastructures d’évacuation, d’autres, des initiatives des entreprises qu’elles soient privées ou publiques. Le rôle du Cluster est justement de faire participer et collaborer tous les intervenants de la chaîne de valeur : entreprises industrielles, centres de recherche, universités, formation professionnelle… Les entreprises privées auront un rôle crucial à jouer car elles devront contribuer aux investissements nécessaires pour produire aussi bien de l’hydrogène et ses dérivés, que les composants nécessaires aux équipements intervenant dans cette chaîne de valeur. Il est estimé qu’à l’horizon 2050, plusieurs centaines de milliards de dollars à travers le monde seront investis chaque année dans cette dernière. C’est dire les opportunités qui se présentent pour les PME-PMI marocaines qui voudront demain fabriquer, par exemple, des pompes, des pièces mécaniques, des tubes, des automates, de l’électronique de puissance, des pièces de compresseurs, etc., qui pourraient être destinés aux fabricants d’électrolyseurs, de stations de dessalement, d’infrastructures de transport et de stockage. C’est à peu de chose près ce qui s’est passé pour l’automobile et l’aéronautique. Il nous faudra des «équipementiers», alors faisons en sorte qu’ils existent.
Comment évaluez-vous le cadre juridique et règlementaire actuel pour qu’il soit en concordance avec les ambitions affichées du Maroc afin de déployer son offre en matière de développement d’hydrogène vert et ses dérivés ? 
Plusieurs aspects sont en jeu, et là je m’appuierai d’abord sur la législation existante. Il faut d’abord produire cet hydrogène, qu’il soit vert ou pas, ensuite il faudra le transporter, le stocker, voire le transformer. À chaque étape, il y a une réglementation qui doit être appliquée en termes de sûreté et de sécurité. Par exemple et de manière non exhaustive, pour le transport par route et la manutention des produits dangereux, inflammables, combustibles, gaz comprimés, explosifs et autres, le Dahir n°30-05 place l’hydrogène dans la catégorie des gaz comprimés. Et là, je vais me permettre de m’appuyer sur une note d’un cabinet juridique de la place qui dit que «cette inscription de l’hydrogène dans la catégorie des gaz comprimés renforce le réflexe consistant à considérer que l’hydrogène est un gaz et cette assimilation conduit alors à s’interroger sur l’applicabilité de la réglementation relative aux activités liées à l’hydrogène. Dans ce sens, la loi n° 1-72-255 du 22 février 1973 (la «Loi Gaz Aval») qui régit le secteur aval des hydrocarbures ne comprend toutefois aucune définition juridique du «gaz» et l’application de cette loi aux activités liées à l’hydrogène ne peut donc être admise.
Comment donc combler ce vide ? 
Il a été décidé de placer l’hydrogène dans le code gazier (Loi 94-17), initialement destiné au gaz naturel, chose réfutée par le Conseil de la concurrence, considérant l’hydrogène comme un produit différent du gaz naturel et que l’on ne pouvait pas les associer dans le même texte, d’où la complexité du sujet. Mais ce n’est pas terminé ! L’hydrogène vert ainsi que les dérivés qui en découlent (ammoniac, méthanol, E-fuel) mais aussi son utilisation dans la fabrication d’acier vert (DRI, Direct reduced iron) seront essentiellement destinés à l’export, notamment en Europe (le DRI sera en partie consommé par les sidérurgistes locaux à l’instar de l’ammoniac pour les engrais). Et c’est là que les choses peuvent de nouveau se compliquer du fait des législations mises en place ou en cours de l’être, notamment par l’Union européenne à travers les législations RED (Renewable Energy Directives). Tout produit à exporter doit respecter cette réglementation pour s’afficher comme produit vert. C’est évidemment aussi une manière de mettre en place une protection non tarifaire des marchés concernés. Et à chaque maillon de la chaîne, il y a une certification à obtenir. D’ailleurs nous avions, il y a quelques mois, organisé un master class sur ce sujet et une session identique se tiendra de nouveau en marge du World Power-to-X Summit 2023. Autant vous dire qu’il y a du pain sur la planche ! 

Après la mise en place d’une feuille de route dédiée à l’hydrogène vert en plus de l’activation récente de l’offre Maroc suite aux instructions royales, ce positionnement répond-il suffisamment aux aspirations du secteur privé ?
Le secteur privé aura un rôle éminemment important à jouer et il faut qu’il en ait conscience mais l’État aussi. Ce dernier doit absolument, dans la déclinaison de l’offre Maroc, donner l’opportunité à ce secteur et s’affirmer comme un partenaire à part entière. Pour l’instant, nous n’avons pas les détails de l’offre Maroc, dont la connaissance va permettre de jauger et juger le positionnement dont vous parlez. Nous espérons vivement une communication sur le sujet pour permettre aux différents acteurs de se préparer. Il y a évidemment les grandes entreprises qui ont déjà des projets de production d’hydrogène et de dérivés sur la table, et ce n’est pas d’eux que je parle, mais plutôt de la multitude de PME-PMI en mesure d’intervenir sur la chaîne de valeur industrielle de ces produits. Comme toujours, les finances sont le nerf de la guerre et plus tôt ces entreprises seront au fait du rôle qu’elles auront à jouer, plus tôt elles pourront étudier toutes les questions des investissements nécessaires et de leurs financements. Là aussi, à l’instar de l’État, le secteur financier national devra jouer son rôle et peut être plus qu’auparavant car l’opportunité économique qui s’offre au Maroc ne se présentera pas deux fois, tant la concurrence est rude et les choix des offtakers seront quasi définitifs.

En tant que Cluster, quel sera votre apport pour le développement de cette offre Maroc et son déploiement ?
Le Cluster, comme je l’ai dit au départ, et de manière non exhaustive, est une plateforme d’échange et de networking, de fournisseur d’études sectorielles et stratégiques mais aussi un initiateur de startups, de mobilisateur de fonds, de promoteur de technologie, de formation et de participation à des plateformes technologiques ainsi qu’une force de proposition. Par conséquent, en fonction de l’offre Maroc, le Cluster déclinera de manière opérationnelle les actions à même d’accompagner cette offre.


Quel regard portez-vous sur le potentiel du Maroc en matière de production de l’hydrogène vert et ses dérivés en relation avec la mise en place d’un écosystème intégré ?
Le potentiel marocain est énorme et il est intimement lié aux ressources considérables en énergies renouvelables dont le Maroc dispose. Je rappellerais ici quelques chiffres. Le potentiel technique identifié jusqu’à présent en solaire est de 49.000 TWH/an, soit 20.000 GW, alors que pour l’éolien, le potentiel technique est de 11.500 TWH/an, soit 6.000 GW. Le Maroc a l’ambition de capter à l’horizon 2030, 4% de la valeur mondiale estimée à 600 TWH dans la chaîne de valeur hydrogène, soit 22 TWH, et faire arriver ce chiffre à 220 TWH à l’horizon 2050, soit 1% des 20.000 TWH mondial à l’horizon 2050. Pour fixer un peu les ordres de grandeur, je rappelle que pour fabriquer 1 M3 d’hydrogène vert à partir d’un litre d’eau, il faut environ 5 kwh ou environ 59 KWH pour produire 1 kg d’hydrogène. Par ailleurs, avec un savoir-faire et une expérience qui date depuis plus de 10 ans dans le domaine des EnR, grâce à la clairvoyance de notre Souverain que Dieu le Protège, ainsi que la politique royale de notre pays dans le domaine des infrastructures portuaires et de dessalement, tous les jalons sont mis en place ou en train de l’être pour faire en sorte que les écosystèmes intégrés puisse voir le jour. Je parle ici de l’hydrogène, mais aussi de l’intégration industrielle pour fabriquer de l’ammoniac, du méthanol, des E-fuels et du DRI pour l’Acier vert. Grâce au méthanol, molécule de base dans la chimie, nous aurons accès à tout un pan de «l’hydrochimie» en lieu et place de la pétrochimie à laquelle nous n’avions pas accès. À cela il faut ajouter les développements autour de la fabrication de composants industriels dont j’ai parlé plus tôt.

Qu’en est-il de la place des régions en matière de développement de cette filière ?
Il faudra intéresser toutes les régions du Maroc afin de faire profiter chacune d’entre elles de cette nouvelle économie, en fonction de leurs capacités en foncier, en infrastructures d’évacuation, en ressources EnR, en réseau électrique, en stations de dessalement, en disponibilité de ressources humaines et en centres de formation aussi bien universitaires que professionnels. De surcroît, je rappelle qu’hormis nos provinces du Sud (riches en ressources éoliennes et solaires) disposant des meilleurs facteurs de rendements au monde, avec un développement portuaire d’importance en cours (notamment Dakhla Atlantique) et des stations de dessalement, la région de l’Oriental pourra jouer également un rôle capital dans le développement de la chimie, notamment méthanol et E-fuels. Ces deux derniers pourront bénéficier de l’existence du port Nador West MED qui est en phase d’achèvement, et qui jouera un rôle majeur pour l’exportation de ces produits. J’insiste aussi sur le fait que la disponibilité de méthanol et E-fuel seront un facteur de compétitivité pour nos ports car nombre de compagnies maritimes auront besoin de ces produits pour l’alimentation de leurs navires. Et comme vous le savez, de telles compagnies, quand elles choisissent un port, c’est pour 20 à 30 ans !

Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO

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