Culture

Rencontre internationale des artistes de Fès: l’Allemagne à l’honneur

Entretien avec Pascual Jordan, directeur artistique de la galerie Werkstatt à Berlin et commissaire de l’exposition collective L’Art en Temps de Crise, qui s’est tenue au Palais Dar Bacha Tazi à Fès, du 12 au 24 janvier. Placé sous la direction du photographe marocain Omar Chennafi, l’évènement a rassemblé des artistes venus de tous horizons. 

Propos recueillis par Mohamed Thara, plasticien et enseignant chercheur en Arts, à l’Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 et Olivier Rachet.

Le Site info: La 2ème édition de la rencontre internationale des artistes de Fès « Fez Gathering » accueille l’Allemagne comme invitée d’honneur. Que représente pour vous cette participation ?

PJ : Tout d’abord, c’est un honneur pour nous de participer à la 2ème édition de la rencontre internationale des artistes de Fès. A l’heure actuelle, l’Allemagne et le Maroc sont des partenaires concernant la question de l’asile et des droits internationaux des réfugiés, un partenariat qui a commencé en 2015. Nous pensons que l’art est capable de nous aider à faire face à ces problèmes qui découlent de ces différentes crises politiques, religieuses et économiques, en rassemblant un groupe international d’artistes ici à Fès. Nous participons à cet évènement pour partager l’art, encourager les collaborations au-delà des frontières géographiques, et réfléchir sur le rôle de l’art en temps de crise. La collaboration entre nos deux pays est primordiale, mais elle doit être suivie par l’action.

Le Site info: « L’Art en Temps de Crise »  est la thématique retenue pour cette édition, pourquoi ce choix ? Et comment l’art doit-il répondre aux crises?

PJ : L’art est un pont qui relie différentes perspectives pour créer une société diversifiée. En outre, l’art lui-même est un processus façonné par des problèmes tels que la mondialisation, la politique, la culture, la religion et l’extrémisme, ainsi que les perspectives individuelles et les points de vue des artistes eux-mêmes. Nous pensons que l’art est à la fois un pont pour transporter les gens d’un espace à un autre, et un chemin qui traverse l’espace entre ses extrémités. C’est à travers l’art que les sociétés intègrent leurs nombreuses cultures, et c’est à travers l’art que les sociétés, dans un temps de crise, se stabilisent finalement. Pour ne citer qu’un exemple,  pensons au tableau Guernica de Picasso qui dénonce le bombardement de la ville de Guernica, ordonné par les nationalistes espagnols et exécuté par des troupes allemandes nazies et fascistes italiennes. Pour la deuxième question, je pense qu’on répond aux crises par l’humanisme et l’art permet à l’homme de conquérir son humanité, symbole de sa différence par rapport aux autres espèces.

Le Site info: L’exposition collective au Palais Dar Bacha Tazi « L’Art en Temps de Crise » a  réuni une dizaine d’artistes internationaux, allemands et marocains. Selon vous, quels sont les points communs entre ces artistes retenus pour cette exposition?

PJ : L’exposition réunit une dizaine d’artistes de différents pays qui ont des motivations et des approches différentes pour interroger la question très difficile de la crise. Nous sommes tous d’accord que l’art est susceptible de provoquer notre appétit intellectuel, mais ne peut pas suffire à notre faim. Il y a une responsabilité sociale à réaliser à travers l’art. L’exposition ouvre un espace de dialogue pour les artistes qui s’engagent dans la poursuite de ses thèmes, avec des œuvres qui touchent à la narration, à l’art conceptuel, à la vidéo ou à l’abstraction, mais toujours à la poursuite de questions peu confortables. Les points communs entre ces artistes, c’est qu’ils essayent de contribuer à la réflexion autour de la crise et des problèmes contemporains, faisant appel à un autre niveau de l’action pratique.

Le Site info: Comment s’est fait le choix de ces artistes sélectionnés pour cette exposition ?

PJ : Comme commissaire d’exposition, dans un premier temps, j’ai essayé avec Evi Blink de réunir des artistes qui ont déjà exposé à Werkstattgalerie, la galerie que je dirige à Berlin, comme l’écrivain et photographe français Pierre Jouve qui présente sa série Marianne Brisée. Il a suivi pendant un an une unité de police parisienne pour réaliser des photographies sur la politique d’intégration française des étrangers. Parmi la sélection, il y a l’œuvre de Rudolf zur Lippe, philosophe et peintre allemand, professeur de philosophie à l’Université de Francfort, il a préparé sa Thèse d’état en philosophie sociale et esthétique, avec Theodor W. Adorno. Sa peinture gestuelle est un témoignage sensuel qui se fie aux énergies universelles. Il y a l’œuvre de l’américain Timothy Hennessy, un artiste peintre majeur de la scène de New York des années 70. Il y a l’œuvre de Evi Blink qui photographie les réfugiés en Allemagne en attente de savoir s’ils obtiendront l’asile. Il y a Luca Carboni directeur de la compagnie de théâtre Gli Incauti basée à Bologne en Italie, qui travaille en collaboration avec le comédien Gabriel Da Costa. Les deux présentent le projet The Blink Experiment, une installation vidéo qui explore le monde de l’image et de la crise d’identité dans nos sociétés contemporaines. Il y a la sculpture/installation flottante en tourbe de coco de la française Caroline le Méhauté articulée autour de l’opposition entre le terrestre et l’aérien.

Dans un deuxième temps, dans la continuité de notre réflexion, nous avons invité des artistes marocains qui interrogent la question de la crise dans leur œuvre, comme Mohamed Thara qui propose l’installation vidéo  Aussi longtemps que je peux retenir mon souffle  qui traite de la crise des réfugiés et retrace le naufrage en Méditerranée du bateau de migrants de Lampedusa en montrant en parallèle la migration des hirondelles vers l’Afrique. Il y a aussi d’autres artistes marocains comme Madiha Sebbani et Soukaina Joual qui font de la performance dans l’espace public un outil de contestation politique et sociale. Enfin, il y a les artistes du collectif Think Tanger, comme Hicham Gardaf et Ouhaddou Sara qui appréhendent avec City Manifesto  les mutations de la ville de Tanger. Tous ces artistes s’unissent pour vous présenter près d’une vingtaine d’œuvres à l’occasion de cette exposition collective.

Le Site info: Parlez-nous du parcours de cette exposition.

PJ : Les œuvres de cette exposition sont appréhendées de manière à engager avec les artistes et le public une réflexion sensible sur les enjeux artistiques majeurs de la création contemporaine. Nous ouvrons avec cette manifestation un véritable dialogue et nous proposons un nouveau regard sur la question de la crise.


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