Culture

Le vice-président du FIFM répond aux critiques (ENTRETIEN)

Les choix des organisateurs du Festival de Marrakech ne font pas l’unanimité cette année. Mohamed Sarim El Haq Fassi-Fihri, vice-président délégué du festival international du film de Marrakech, a répondu aux questions du Site info et a apporté des clarifications. Instructif. 

Par Olivier Rachet

Le Site info : Cette nouvelle édition du festival, la seizième, met à l’honneur le cinéma russe. Une des trois master-class sera, par exemple, consacrée au cinéaste Pavel Lounguine. Du réalisateur soviétique Sergueï Eisenstein à Andreï Tarkovski, en passant par Alexandre Sokourov ou Nikita Mikhalkov, le cinéma russe, l’un des plus importants au monde, est inséparable de l’histoire chaotique du XXe siècle. Avez-vous ainsi voulu mettre à l’honneur, à travers ce choix, un cinéma engagé et souvent dissident, en prise directe avec l’Histoire ?

Le Festival International du Film de Marrakech a toujours souhaité mettre en valeur les cinématographies afin de réinscrire les nouvelles œuvres dans le contexte qui les a vues naître. Cette année, la Russie sera donc à l’honneur, le cinéma russe – prérévolutionnaire, soviétique ou d’après la Perestroïka – étant l’un des acteurs majeurs de la cinématographie mondiale depuis ses tout débuts. Si durant les vingt-cinq dernières années le cinéma russe se redéfinit, des grandes œuvres ont cependant vu le jour, de nouveaux noms sont venus succéder aux grands classiques et les grands festivals sont toujours à l’affût de ceux qui demain prendront le relais des réalisateurs auxquels Marrakech rendra hommage.


Le Festival de Marrakech a déjà décerné deux Grands Prix à des films russes (Champ sauvage de Mikhaïl Kalatozichvili, 2008 ; Classe à part d’Ivan Tverdovski, 2014), rendu hommage à Andrei Konchalovsky, sans compter les nombreuses œuvres qui ont émaillé les sélections de cet événement. Il était naturel que l’hommage soit donc rendu à la cinématographie entière : 30 films accompagnés d’une délégation de 30 invités (metteurs en scène, acteurs et actrices, chefs-opérateurs, scénaristes, institutionnels, producteurs…) que présidera le metteur en scène et président de Mosfilm, Karen Shakhnazarov.

Le Site info : Le président du jury est un cinéaste hongrois, encore trop peu connu du grand public, Béla Tarr. Ours d’argent au festival de Berlin en 2011 pour Le Cheval de Turin, le réalisateur partage une conception du cinéma aux antipodes du président de l’an passé, Francis Ford Coppola. Privilégiant la durée et la lenteur des plans, ses films ont une portée contemplative qui est à l’opposé d’une certaine esthétique hollywoodienne. S’agit-il pour le festival de Marrakech de mettre, cette année, en avant des films d’auteurs souvent exigeants?

Lorsque nous avons un jury de cette qualité, présidé par un maitre du cinéma, Béla Tarr, entouré de cinéastes prestigieux, Bille August, deux Palmes d’or, Bruno Dumont, deux fois Prix Spécial du Jury à Cannes, Lisandro Alonso chef de file de la nouvelle génération argentine, ainsi que les comédiens Fatima Harrandi que l’on ne présente plus, Suzanne Clément muse de Xavier Dolan, Jasmine Trinca comédienne italienne reconnue, interprète inoubliable de  La chambre du Fils  de Nanni Moretti, Kalki Koechlin (tout le charme de Bollywood) et Jason Clarke étoile montante du cinéma américain ; nous nous devions avec ce jury et avec l’histoire de Marrakech, de notre passé cinéphilique, d’établir une sélection et particulièrement une compétition à la hauteur de ceux qui la regarderont : public et jury.

Le Site info : Comme chaque année, plusieurs hommages seront rendus. La comédienne Isabelle Adjani et le comédien marocain Abderrahim Tousin recevront chacun un prix récompensant leur carrière, à l’image des réalisateurs néerlandais Paul Verhoeven et japonais ShinyaTsukamoto. Pouvez-vous revenir sur ces choix ?

En plus de ces hommages que vous venez de citer, nous célébrerons l’œuvre de Paul Verhoeven, dont la filmographie ne présente aucun mauvais film, que des œuvres cinématographiques qui ont marqué les esprits et ont été des succès planétaires : Basic Instinct, Showgirls, Robocop, Black Book, StarshipTroopers, Hollow Man et tout récemment  Elle  présenté à Cannes et qui sera projeté pendant le Festival. Abderrahim Tounsi, précurseur de l’art humoristique au Maroc a influencé considérablement l’art du discernement qu’est l’humour au point qu’il est le maître ou la référence de beaucoup dont Gad Elmaleh. Il est juste que le Festival de Marrakech rende hommage à cette forme de talent qui est si populaire, car empreinte d’un bon sens qui relève de la sagesse.

Après avoir rendu Hommage à Shinji Aoyama, Kurosawa et Kore-Eda, il nous a semblé juste d’honorer ShinyaTsukamoto qui lui aussi fait partie de la nouvelle vague du cinéma japonais qui s’est imposé dans les année 90-2000 et qui aujourd’hui illustre bien cet adage : « les fous ouvrent des voies que les sages empruntent ensuite ».

Pour égaler en talent l’ensemble de ces cinéastes, il nous fallait pour ce quatrième hommage une reine qui porte les plus beaux prénoms du monde : Margot, Camille, Adèle et tous les personnages qu’elle a interprétés avec magnificence. Elle est l’incandescence du cinéma, elle est unique, elle est un mythe, elle est Isabelle Adjani.

Le Site info : La compétition Cinécoles qui présentait des courts-métrages réalisés par des étudiants des différentes écoles de cinéma au Maroc n’aura pas lieu cette année. Pour quelle raison ?

Tout d’abord, j’aimerais dire que le concours CINECOLES a été une expérience enrichissante et passionnante à plus d’un titre, qui nous a permis d’explorer et de jauger l’énorme potentiel artistique des étudiants marocains de cinéma. Au fil des cinq dernières éditions de ce concours, nous avons pu en effet constater tout l’enthousiasme et toute la créativité cinématographique qui animent la jeune génération de cinéastes marocains. Ceci sur le plan artistique. Toutefois d’un point de vue technique et commercial, le bilan reste en deçà de nos attentes. Seulement deux films ont été produits et un troisième est actuellement en post production. Au final, les lauréats du concours CINECOLES et leurs productions n’ont pas eu le succès escompté. Ceci en raison du faible accompagnement des jeunes par les professionnels des métiers du cinéma au Maroc, notamment en termes d’écriture de scénarios et de techniques de production.

Face à ce constat, nous avons décidé de changer de cap et de méthodologie en passant le flambeau à notre partenaire la Société Nationale de Radiodiffusion et de Télévision. Forte de ces moyens aussi bien techniques que matériels, la SNRT a mis en place un dispositif de soutien financier à la production de courts métrages. Lancé sous forme d’appel d’offre ouvert à toutes les écoles et universités dédiées aux métiers du cinéma, ce dispositif permettra la passation de contrats portant sur la coproduction ou/et le préachat des droits de diffusion ou/et l’apport en industrie de 6 longs Métrages et 12 courts Métrages marocains, dans le cadre de l’article 16 du cahier de charges de la SNRT.

Le Site info : Le festival a comptabilisé, pour son édition 2015, plus de 20 000 entrées. Quel objectif vous fixez-vous pour cette année ? De façon plus générale, comment se porte le festival?

Au deuxième jour du festival, 17 000 accréditations ont été délivrées. En restant modeste, je dirais que le chiffre de 2015 sera dépassé d’au moins 15%.

Le succès d’un festival c’est aussi, ou principalement c’est selon, l’engouement du public. A Marrakech, toutes les projections pour toutes les sections (Compétition, coup de cœur, hommages, hors compétition, films du pays auquel il est rendu hommage) connaissent une forte affluence.

Les salles sont pleines, y compris la grande salle des ministres au palais des congrès (1200 places). En ce qui concerne la demande de participation étrangère, elle est, d’année en année, sur un trend haussier. Donc le festival se porte bien, merci.

Le Site info : Chaque année, le festival réussit le pari d’attirer à la fois un large public et de s’adresser, à travers notamment des projections en plein air, à un public le plus large qui soit. Cela sera-t-il encore le cas ? Les films projetés en compétition officielle, au Palais des Congrès, le seront-ils toujours dans les salles de cinéma de Marrakech ?

En plus de ces films projetés comme chaque édition dans les salles de Marrakech, pour la première année, depuis sa création en 2001, le Festival du Film de Marrakech, en partenariat avec le Centre Cinématographique Marocain, programme la projection de films du festival dans une salle de cinéma hors de Marrakech.

En effet, la salle de cinéma 7ième art de Rabat, entièrement rénovée pour l’occasion, projettera 7 films issus des diverses sections de cette 16éme édition du festival (Compétition, hors compétition, hommage, coup de cœur…).

Les festivaliers avec badges édités à Marrakech auront un accès gratuit sur présentation de leurs badges et le grand public accédera aux projections pour la modique somme de 15 Dirhams par séance. Le programme de la semaine à la salle 7ième ART est donc un florilège de toutes les sections que compte le Festival international du Film de Marrakech et qui composent son identité.

Le Site info : Une dernière question au directeur du CCM (Centre Cinématographique Marocain) que vous êtes depuis 2014. Souvent mis sur la sellette, l’institution qui dépend du ministère de la Communication se voit accuser parfois de tous les maux. Que répondez-vous à vos détracteurs qui vous reprochent de ne pas vous engager assez pour aider un nouveau cinéma marocain en pleine effervescence mais manquant de moyens ?

Mon rôle de responsable du cinéma au Maroc ne me permet pas toujours de me défendre, je suis tenu à un devoir de réserve. Cependant ceux qui connaissent le cinéma marocain de l’intérieur constateront que les détracteurs sont toujours les mêmes, qu’ils sont rares, qu’ils ne font pas beaucoup de films et qu’il leur est plus facile d’être nihiliste que créatif. Le cinéma marocain, en comparaison avec d’autres, ne manque pas toujours de moyens. La preuve ? On ne voit pas toujours à l’écran les fonds publics qui sont alloués à certains films. Alors même que ces fonds publics sont censés représenter 2/3 du budget au maximum. Depuis deux ans le CCM accompagne les bénéficiaires de l’avance sur recettes, et grâce à la Fondation du Festival International du Film de Marrakech, afin qu’ils améliorent leur scénario. En 2015 a été créée la résidence d’écriture d’Ifrane destinée aux auteurs-réalisateurs ayant bénéficié du fonds d’aide. Le but étant d’améliorer des scénarii, certes primés par la commission du fonds d’aide, pas nécessairement parce qu’ils sont parfaits mais parce que ce sont les meilleurs parmi ceux proposés à la commission.

Toujours avec le souci d’accompagner les professionnels, le CCM a créé avec l’ISMAC (l’Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel et du Cinéma), et dans le cadre de cycles de formation continue, des ateliers de production destinés aux professionnels marocains afin de les former à la manière de monter des dossiers de recherche de financement à l’international et aussi pour leur apprendre à « marketer » leurs projets auprès des différents guichets internationaux de financement de films.

Enfin, avec notre homologue français, le Centre National du Cinéma nous sommes en train de finaliser un fonds bilatéral maroco-français destiné à contribuer au financement des coproductions entre les deux pays.

O.R.

 

 

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