Chroniques

Présidentielle 2017: quelles leçons pour nous Marocains?

Jalil Bennani

Par Jalil Bennani, psychiatre, psychanalyste

Les Marocains, on le sait, se sont passionnés pour les élections présidentielles françaises. Ils ont, dans leur grande majorité, pris position en faveur d’Emmanuel Macron pour des raisons diverses. Je ne soulignerai que deux d’entre elles. La première tient au caractère nouveau et inédit de cette échéance, lequel est indissociable de la jeunesse du président élu. La seconde concerne le refus de la haine de l’autre.

Le plus jeune président de toute l’histoire de la République française a su faire preuve d’audace, de créativité, d’énergie et de détermination. Une ascension fulgurante qui témoigne d’une jeunesse pleine de vitalité et porteuse de renouveau. Les observateurs ont souligné la jeunesse de ses partisans, dont un bon nombre votaient pour la première fois. Une foule enthousiaste et nouvelle.


Les positions de Marine Le Pen ont suscité le rejet, l’indignation, voire le mépris. Ce rejet s’est exprimé au niveau de la population française et, dans une écrasante proportion, au niveau de la population marocaine et franco-marocaine. Le parti de l’extrême droite fonde une bonne part de sa campagne sur le rejet de l’autre, étranger et différent. Il est bien connu que cette stigmatisation permet, consciemment ou inconsciemment, de projeter sur l’autre les peurs et la cause des problèmes, tant au niveau individuel que collectif. Dès lors le mot d’ordre est lancé: « Les problèmes ne viennent pas de nous, mais de ceux qui ne sont pas comme nous ». Arrêtons-nous sur cette crispation identitaire.

Il y a là un double déni. Le premier est celui de la multiculturalité qui caractérise la société française. Le second est le refus de reconnaître qu’en chacun de nous une part étrangère demeure dans notre inconscient. N’accède à notre conscient que la part admise, convenable et convenue. Nous avons à refouler nos peurs, nos pulsions agressives, la haine qui sommeille en nous. La civilisation existe à ce prix. Reconnaître ces peurs refoulées permet de tempérer nos haines et nos projections sur l’étranger, cet inconnu.

La haine (nous avons vu le sigle FN retranscrit « F-Haine » par ceux qui dénoncent ce parti) véhiculée par Marine Le Pen a eu pour écho les slogans tels « On est chez nous », clamés par ses partisans. L’appel à fermer les frontières, à expulser les indésirables, fussent-ils des enfants de la République fait le lit direct du racisme. Cette idéologie, fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, n’est pas directement énoncée comme telle, afin de ne pas tomber sur le coup de la loi. Mais l’hostilité systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes est on ne peut plus claire. D’où la tendance à l’exclusion, la haine et l’affrontement qui s’en suit.

Le fond d’antisémitisme européen a repris de la vigueur. Dans un appel lancé par les psychanalystes français « contre Marine Le Pen et le parti de la haine », on peut lire: « Le Front dit national réduit la nationalité aux ancêtres. Il en fait, non un choix de tous les jours, mais un héritage archaïque. Il est l’avatar actuel du séculaire courant contre-révolutionnaire qui naquit jadis de l’hostilité aux Lumières, gloire de la France. Ce courant d’idées a déjà été au pouvoir : ce fut, sous l’Occupation nazie, l’aventure de la Collaboration ». De telles positions menacent les libertés publiques et les libertés d’opinion. De ce fait, elles menacent même certaines professions comme celles des psychanalystes.

Des dirigeants d’organismes de recherche français tels le CNRS ou l’INSERM ont également appelé à voter contre le Front National dont le programme est « porteur de régression et de déclin sur tous les plans : économique, social, culturel et bien sûr scientifique ». « Sur d’innombrables sujets, les migrations, la santé, l’environnement et jusqu’à l’histoire de notre pays, les idées véhiculées par le Front National sont en contradiction ouverte avec les évidences indiscutables établies par la recherche et avec la nécessaire autonomie de la communauté scientifique », écrivent-ils.

Au-delà des élections françaises quelles leçons avons-nous, en tant que Marocains, à tirer des résultats de ce vote ?

Notre jeunesse est porteuse des plus grandes attentes. Majoritaire dans notre pays, elle a beaucoup à proposer dans les domaines de la créativité et du renouveau. Il faut l’accompagner dans ses remises en question, ses initiatives, son enthousiasme. Il faut écouter ses souffrances et ses détresses et ne pas la laisser entre des mains obscurantistes qui rêvent d’un retour à des ancêtres imaginaires et aspirent à des identités figées.

Les peurs des citoyens peuvent porter tout autant sur l’insécurité que sur le sentiment d’insécurité. Elles ne sauraient être utilisées au profit d’intérêts divers tout autant pour se protéger que pour affirmer à tout-va que la faute vient des autres. Les exclus, les marginaux, les étrangers et même une partie des jeunes sont pointés du doigt. Il ne faut pas oublier que ces laissés-pour-compte sont les produits de notre société.

Les migrants et les réfugiés nous rappellent aujourd’hui à notre devoir d’humanité. Ceux qui partent n’ont souvent pour seul choix que celui de quitter leur pays pour fuir les persécutions, les violences et les guerres. L’étranger en situation de précarité, d’isolement, de chômage, suscite souvent le rejet. Il convient de rappeler ici que l’attitude de nos concitoyens peut reproduire l’attitude coloniale ou même le rejet que vit une partie de nos concitoyens vivant en Europe.

Le plurilinguime et le multiculturalisme séculaire de notre société méritent d’être préservés et cultivés. Notre société est traversée par des tensions entre les forces traditionnalistes et celles aspirant à notre ouverture sur le monde dans sa diversité culturelle et linguistique. Notre politique d’accueil des migrants, notre ouverture au restant de l’Afrique, nos liens entretenus avec les pays du Nord, sont porteurs de grands espoirs. Nous ne devons pas cependant nous satisfaire de nos traditions d’hospitalité. Celles-ci sont remises en question chaque fois que le rejet se manifeste. N’oublions pas que la vraie hospitalité se donne à celui qui est différent.

J.B.

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