Culture

Malik Nejmi: Un photographe à découvrir au musée Mohammed VI

Diplômé du conservatoire du cinéma français de Paris, pensionnaire de la Villa Médicis, à Rome, en 2013, l’artiste originaire d’Orléans, sillonne la Méditerranée afin d’explorer la question migratoire et celle des frontières, aussi bien géographiques que mentales, qui lui est corollaire. Le musée d’art moderne Mohammed VI de Rabat expose actuellement l’une de ses installations.

Par Olivier Rachet

Dans une lettre rédigée en marge d’un travail de recherche autour des oeuvres du peintre norvégien Edvard Munch, Malik Nejmi écrit à propos des migrants arrivant à Ellis Island : « Ils avaient vu New-York mais qu’avaient-ils fui? » En une phrase fascinante, l’artiste franco-marocain condense l’essentiel de ses interrogations artistiques. La problématique tout d’abord du regard pose d’emblée la question centrale de la représentation. L’interdit qui pèse sur l’image dans la culture arabo- musulmane reste au coeur de ses installations vidéos, de ses films et de ses photographies. La question de la migration, aussi bien celle de sa famille à travers la figure du père que celle de communautés aussi diverses que la diaspora sénégalaise en Italie ou laotienne en France, traverse tout son travail.

Une odyssée méditerranéenne


Un premier voyage au Bénin, en 1999, sera le prélude de projets multiples grâce auxquels Malik Nejmi entreprendra un long travail de recherche autour de la notion de migration. En 2015, en résidence à la Villa Médicis, l’artiste part à la rencontre de familles sénégalaises dont deux des membres qui exerçaient à Florence l’activité de marchands ambulants furent assassinés par un extrémiste fasciste. Il choisit alors de filmer les prières de ses familles unies à la fois dans la douleur de l’arrachement et de l’exil et la désolation tragique d’un deuil impossible.

« Les morts ne sont pas morts » fait écho à un projet tout aussi récent intitulé « Corpus monumenta » où l’artiste s’intéresse, à travers la rencontre d’un jeune sénégalais, Omar Ba, en transit à Tanger, aux conditions dans lesquelles s’effectue la traversée du détroit de Gibraltar, en partance pour un continent européen auréolé de mille promesses. L’inventivité de ce travail réside dans la relation artiste-sujet et dans la diversité des matériaux utilisés : des vidéos clandestines d’Omar réalisées avec un téléphone portable en passant par des objets clandestins et des dessins en transit. Ce projet de recherche, mené en collaboration avec l’Institut Méditerranéen de Recherches Avancées (Université Aix-Marseille), constitue comme le récit épique d’une odyssée du désespoir et de l’incomparable dignité de ceux qui sont contraints le plus souvent au départ.

Mais c’est autour de la figure de son propre père et de sa famille que Malik Nejmi a concentré l’essentiel de son travail. La série photographique réalisée entre 2001 et 2005 intitulée « El Maghreb – Retour au pays de mon père » représente l’un des points d’orgue de l’engagement de l’artiste. Pensée comme un retour aux sources du pays natal qui est celui de son père, cette entreprise explore, selon les termes du photographe, « les territoires de l’âme » des migrants. Il s’agissait de photographier le Maroc « afin de décadrer la France ».

Ce va-et-vient continu entre l’histoire personnelle de sa famille et l’Histoire collective de l’immigration conduira l’artiste à se mettre en scène avec ses propres enfants dans un travail d’atelier intitulé « La chambre marocaine » ou à photographier sa propre mère dans une série

intitulée « Mosaïque ». L’attachement de l’artiste à sa famille apparaît tout autant dans les photographies exposées au musée Mohammed VI de Rabat : en recouvrant celles-ci d’un voile ukrainien, en souvenir de sa grand-mère, Malik Nejmi montre à la fois quelle peut être la force du dialogue entre les cultures et dévoile le tabou que représente encore la représentation du corps dans les sociétés arabo-musulmanes.

Une traversée des territoires artistiques

Malik Nejmi ne se contente pas seulement de diversifier les supports – entre installations vidéos, films, séries photographiques accompagnées ou non de textes poétiques – il multiplie les collaborations lui permettant à la fois d’innover et de défricher des territoires encore inexplorés. Les installations convoquent le plus souvent la musique à travers des créations sonores d’artistes tels que Laurent Durupt, Mathieu Gaborit ou Jules Wisocki en compagnie duquel il créa « Les morts ne sont pas morts ».

Le nom bien connu de Touda Bouanani apparaît dans « Une odyssée » ou le ciné roman perforé intitulé « Traversés ». A propos de cette performance visuelle et sonore, l’artiste écrit « avoir eu en mémoire des titres de chansons traditionnelles marocaines « On avance sans avancer », « Tu ne traverseras pas le détroit » et dit avoir pensé à quelque chose de beaucoup plus tragique qui existe aussi dans une chanson : il s’agit d’une femme qui va au bord de la mer avec un gobelet et elle se met à vider la mer et elle jure d’assécher la mer parce qu’elle a bu son fils, privé de partir, et qui est parti non dans le sens de « traverser » mais qui a disparu. »

L’importance des corps sur lesquels se gravent à la fois les tragédies de l’Histoire et se marquent de façon indélébile les aventures et mésaventures personnelles conduira Malik Nejmi à réaliser, en 2016, un film expérimental intituléThe Rift en compagnie de la danseuse Barbara Sarreau.

Des frontières invisibles

Une question taraude l’artiste qui ne se contente pas d’explorer les territoires familiaux et intimes puisqu’il s’est intéressé, à deux reprises, à la migration laotienne, en France : celle de la frontière délimitant les territoires de l’âme. Puisque nous vivons désormais dans un monde où les échanges se sont mondialisés et où les problématiques géo-politiques, ethnographiques et historiques, se sont globalisées, la perception qui est la nôtre de l’espace et par là même des paysages a volé en éclats.

La réflexion que mène le philosophe indien Arjun Appadurai, notamment dans un ouvrage tel que Après le colonialisme – Les conséquences culturelles de la globalisation, amène Malik Nejmi à repenser la notion même de frontière, à partir du concept forgé par Appadurai d’ethnoscape. Tout migrant porterait ainsi en lui les traces d’une frontière culturelle qui rendrait à la fois douloureuse toute tentative d’intégration et salutaire la rencontre, en terre d’exil, de ses semblables.

« L’ethnoscape, écrit le philosophe, c’est la « forme imaginée » qui héberge les corps qui voyagent, les corps qui sont en mouvement. Soit un espace social qui est aussi un espace mental.
L’ethnoscape fournit le climat qui les protège du stress du voyage et de la globalisation. Soit un climat.

L’ethnoscape, c’est la forme d’existence que ces corps voyageurs imaginent afin de se préserver du stress inhérent au contact trop radical avec d’autres cultures, d’autres climats, d’autres habitudes.

Soit un style de vie. » Tout le talent de Malik Nejmi consiste à rendre visibles ces frontières invisibles qui constituent toute la délicatesse de l’altérité.

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