Bus roses au Maroc ou quand le ridicule ne tue pas
OPINION – Beaucoup d’encre a coulé suite à la volonté du maire de Rabat, Mohamed Sadiki, de vouloir lancer des bus roses dédiés uniquement aux femmes et ce, dans le but de diminuer le harcèlement sexuel auquel elles font face chaque jour.
Cette initiative a suscité bon nombre de réactions mitigées entre partisans qui ont salué le projet et estimé qu’il vise vraiment à protéger la femme et à lui assurer un certain confort, ne serait que dans les heures de pointe, et détracteurs qui l’ont pointée du doigt et ont exprimé leur mécontentement, voire leur opposition farouche.
A ce propos, la parlementaire Ibtissam El Azaoui a adressé, il y a quelques jours, une correspondance au ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, en réaction aux retombées de cette mesure sur l’opinion publique.
Le bus rose, un harem à roues ?
L’idée de cloîtrer les femmes dans un bus pour les « protéger » des hommes revient à demander à « la femelle » de se protéger et d’être plus pudique pour ne pas titiller le désir du « mâle ». Au lieu d’instaurer un processus d‘éducation pour le respect de l’homme à l’égard de gent féminine, cette initiative creuse beaucoup plus le fossé entre les membres de la société.
En plus d’être outrageant pour la femme de la grillager dans un bus de couleur rose, choix tout à fait stéréotypé, la société marocaine assiste à un renversement de situation où c’est la victime qui doit rester à l’écart et se cacher. Le harceleur, lui, se permet de se balader, de choisir à sa guise le moyen de transport qui lui convient et de profiter pleinement de l’espace public.
Des solutions terre à terre
Le harcèlement sexuel contre les femmes est omniprésent et n’est pas limité aux transports communs. Cette décision ne ferait qu’accentuer le fléau. Et on se trouvera, par conséquent, dans l’obligation de mettre en place des jardins, des cafés, des hôpitaux, … pour femmes.
Cette segmentation de la société ne s’est pas arrêtée à la porte du bus mais est arrivée jusqu’à l’école ; le groupe parlementaire du PJD (Parti de la Justice et du Développement) a exprimé, il y a quelques jours, son intention de vouloir consacrer des écoles d’enseignement traditionnel uniquement pour filles, une proposition qui serait justifiée par le fait que ces dernières ne bénéficient pas assez de la scolarité dans les régions enclavées du Maroc, à cause justement de cette mixité. Décision qui semble ne pas convaincre le ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Taoufiq, qui a estimé qu’un tel agissement pourrait mener à une «fausse» interprétation de la religion qui laisserait entendre que l’islam est basé sur le favoritisme et la ségrégation entre les genres.
Ces différents projets et propositions démontrent que le parti islamiste serait en train de revenir sur les valeurs qui faisaient sa force quand il était à l’opposition.
Dans un Etat d’égalité et de parité et dont la Constitution précise que les hommes et les femmes jouissent à égalité des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, de telles «solutions» ne doivent nullement être envisageables, quelle qu’en soit l’intention. La femme ne se protège pas en étant clouée dans un bus et la fille rurale n’est pas pour autant motivée pour aller à l’école juste ayant des camarades du même sexe. Les temps changent, les esprits s’éclairent et la société marocaine espère une palette de toutes les couleurs.
Sara Afifi