Culture

L’expo renversante de Hicham Benohoud à Casa (entretien)

A l’occasion de l’exposition organisée par la Loft Art Gallery de Casablanca, le photographe marocain s’entretient avec Le Siteinfo. Retour sur un parcours étonnant.

Propos recueillis par Olivier Rachet

Le Siteinfo : La Loft Art Gallery de Casablanca expose actuellement plusieurs de vos toiles dans une rétrospective intitulée Recto Verso. La plupart des œuvres comportent des photos d’identité que vous prenez plaisir à cacher ou à rendre méconnaissables. Quel sens donnez-vous à ce geste à la fois créateur et quasi autodestructeur ?

Hicham Benohoud : Cette exposition Recto Verso que j’organise à la Loft Art Gallery n’est pas une rétrospective mais une exposition personnelle dans laquelle je présente des tableaux récents réalisés entre 2016 et 2017. Quant à l’exposition rétrospective, je l’avais réalisée l’année dernière, lors d’une tournée dans dix Instituts Français du Maroc. J’y avais montré une sélection assez représentative de mes 25 ans de photographie.


Pour revenir au projet en cours, il ne s’agit pas exactement de photographies mais de peinture sur photographie. Ce sont des toiles couvertes de petites photos d’identité imprimées de face et de dos, d’où le titre Recto Verso, sur lesquelles je suis intervenu en utilisant la peinture à l’huile. Ces photos d’identité marouflées sur toile sont recouvertes partiellement ou totalement de peinture. Ces œuvres, comme dans tous mes projets d’ailleurs, s’articulent autour de l’Identité. D’où la photo d’identité qui devient ici un élément plastique qui constitue mes tableaux. D’autres artistes utilisent la lettre arabe, les signes et les symboles ou des matériaux locaux entre autres.

 

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Le Siteinfo : De fait, le public marocain connaît principalement vos photographies. Or la pratique de la peinture qui est la vôtre semble avoir été à l’origine de votre travail de création. Rappelons que vous avez enseigné pendant plusieurs années les arts plastiques dans un établissement public marocain. S’agit-il pour vous d’un retour aux sources ? Et quel souvenir gardez-vous, d’autre part, de votre métier d’enseignant ?

Hicham Benohoud : En effet, je suis plus connu en tant que photographe que peintre. Pourtant, c’est la peinture à l’huile que je pratiquais à mes débuts, pendant les années 90, mais que je n’avais jamais exposée. Pour apprendre cette technique, je refusais de copier les Maîtres. Pour cela, j’ai appris la photographie pour pouvoir réaliser moi-même les documents à reproduire par la suite avec la peinture à l’huile. A force d’utiliser la photographie pour ma documentation, j’ai fini par l’adopter et l’utiliser en tant que médium artistique à part entière.

Du jour au lendemain, je laissai de côté mes pinceaux pour produire des photographies, en commençant par mon projet fondateur La salle de classe jusqu’à la dernière série The hole. Je suis revenu à la peinture à l’huile en 2010 et en 2013 avec deux expositions personnelles à l’Atelier 21 et maintenant avec cette exposition à la Loft Art Gallery avec une série inédite de tableaux mariant, pour la première fois, peinture et photos.

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Pour revenir à l’éducation nationale, j’ai enseigné les arts plastiques dans un collège à Marrakech pendant treize ans avant de tout arrêter en 2002 pour me consacrer exclusivement à ma carrière d’artiste. Je ne pouvais pas concilier l’art et l’enseignement que j’aime par ailleurs. Pour faire des expositions et des résidences d’artistes à l’étranger, il a fallu trancher. Être artiste est un « métier » à plein temps.

Le Siteinfo : Deux séries photographiques antérieures – Version Soft et Inter-Version – étaient déjà constituées d’autoportraits dans lesquels vous vous amusiez à lacérer, ficeler ou mutiler votre visage, à l’image du sort que vous faisiez d’ailleurs subir aux élèves de La salle de classe ou aux enfants de la série Azemmour. Vous avez souvent évoqué, à ce propos, l’ambivalence de la réception de votre travail photographique, soulignant l’amusement du public marocain et le regard plus grave porté par le public européen, sensible à la symbolique de l’enfermement. Lorsque vous vous mettez en scène, que cherchez-vous à susciter chez votre spectateur ?

Hicham Benohoud : En général, je photographie les gens. Quand je n’en trouve pas, je retourne l’appareil vers moi en faisant des autoportraits en buste ou en pied. C’est ce qui s’est passé dans les deux séries que vous avez évoquées dans votre question mais aussi dans la série photographique Half couple exposée en France mais autocensurée au Maroc.

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Que ce soit mon corps ou celui de mes modèles, je les enferme, symboliquement, à l’image de la société marocaine que je trouve coercitive. On vit dans un pays dans lequel l’individu n’arrive pas à émerger. Le poids des traditions et de la religion fait qu’on se ressemble tous. On vit dans un moule social. Contrairement à d’autres sociétés, les marocains savent d’où ils viennent et surtout où ils vont. On ne se remet pas en question. On a les réponses à toutes les questions existentielles. On a les mêmes goûts et les mêmes désirs. On ne peut pas revendiquer sa différence. Tout est tracé à l’avance et on est obligé de suivre au risque d’être marginalisé ou condamné.

Pour revenir à l’ambivalence de la réception de mes photographies au Maroc et à l’étranger, j’avais découvert cela dès mes premières expositions en France. Le public français par exemple ressent une violence sourde face à mes images alors que le public marocain a, souvent, le fou rire en regardant des photos comme celles de La salle de classe, Version soft ou encore The hole. Le public marocain, en général, n’a pas de références en matière d’art. Ce n’est pas un public initié. Il réagit spontanément face à des œuvres qu’il découvre. A contrario, le public occidental est bourré de références qui l’accompagnent à chaque lecture iconographique. Pour ma part, quand je crée des œuvres, je ne cherche pas à conditionner le regard du public qu’il soit d’ici ou d’ailleurs. J’essaie de produire des œuvres aussi ouvertes que possible.

Le Siteinfo : Plusieurs de vos séries photographiques ont été exposées dans les plus prestigieux centres d’art contemporain, de la Tate Modern à Londres, en passant par le Centre Pompidou ou l’Institut du Monde Arabe, à Paris. Cette reconnaissance internationale ne constitue-t-elle pas parfois un frein à votre travail de création ? N’avez-vous pas peur de décevoir le public ?

Hicham Benohoud : Quand j’ai commencé la série La salle de classe à Marrakech en 1994, je ne pensais pas qu’elle allait être acquise un jour par la Tate Modern à Londres ou le Musée Reina Sofia à Madrid. Je ne pensais pas que j’allais exposer cette série ou d’autres dans les quatre coins du monde. Un artiste ne maîtrise pas son succès. Il travaille. Il peut avoir la reconnaissance de son vivant, à titre posthume ou jamais d’ailleurs.

Pour ma part, le plus important est de créer. C’est une nécessité personnelle. Je ne le fais pas pour les grandes institutions. Je le fais pour m’exprimer. Je le fais à ma manière avec les moyens du bord, avec mon rythme et mes contraintes. Une fois que le travail est là, il intéresse ou pas. La question ne se pose plus pour moi. D’ailleurs, les grandes institutions qui se respectent sont à la recherche d’artistes singuliers et leur force réside dans leur capacité à prendre des risques.

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Le Siteinfo : Quel regard portez-vous, pour finir, sur l’essor de la photographie d’art au Maroc ? On ne compte plus les collectifs, les festivals ou les expositions qui se développent de façon exponentielle. S’agit-il, selon vous, d’un simple effet de mode, facilité par l’essor des nouvelles technologies ou assiste-t-on à un renouvellement à la fois de générations et de pratiques artistiques ?

Hicham Benhoud : La situation actuelle de la photographie au Maroc est incontestablement meilleure que ce qu’elle était à mes débuts, il y a une vingtaine d’années. Les initiatives se multiplient d’année en année. Ce qui manque, c’est le public. Un travail pédagogique de la part de tous les acteurs culturels est nécessaire pour lui faire découvrir ce médium déjà bien installé en Occident. Il y a des signes qui ne trompent pas. La photographie au Maroc, malgré ses balbutiements, a un bel avenir devant elle.

O.R.

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