Culture

Les Semaines du film européen, rendez-vous incontournable des cinéphiles marocains

Entretien avec Ali Hajji, directeur artistique des Semaines du film européen qui démarre le 21 novembre prochain dans plusieurs villes du Royaume. 

Par Olivier Rachet

Le siteinfo : Rendez-vous incontournable des cinéphiles marocains, les Semaines du film européen fêtent cette année leurs 25 ans d’existence. Pouvez-vous revenir à la fois sur cette longévité et sur ce que représente, à vos yeux, cette date anniversaire?

AH : Il est très important de souligner qu’il s’agit d’une initiative de l’Union européenne au Maroc qui a fait le choix à travers ce projet, qui est l’une de ses manifestations culturelles phares sur le territoire national, de montrer l’Europe dans toute sa diversité à travers les regards de ses cinéastes. L’objectif est de faire découvrir au public marocain les meilleurs films européens de l’année et la liste des films présentés depuis les débuts en 1991, aligne les grands noms de l’histoire du cinéma de ce dernier quart de siècle.

En tant que cinéphile, je me réjouis fortement de la longévité de cette manifestation devenue incontournable et que j’ai découvert très jeune adolescent au cinéma Zahwa à Rabat. C’est avec un plaisir inouï que je suivais chaque année ces programmations qui me donnaient la possibilité de voir des films inédits, totalement différents et nettement moins formatés que ceux auxquels nous avions accès dans les salles en temps normal. C’était une ouverture extraordinaire.

Aujourd’hui, participer à cette manifestation organisée par l’Union européenne au Maroc, est un plaisir sans cesse renouvelé avec toujours la même exigence de faire un travail de qualité et de fidéliser un public chaque fois plus nombreux.

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Le siteinfo : Huit films ont été sélectionnés par vos soins dont le Grand Prix et la Palme d’Or du dernier festival de Cannes, Juste la fin du monde de Xavier Dolan et Moi, Daniel Blake du réalisateur britannique Ken Loach. Selon quels critères avez-vous opéré ces choix?

AH : La sélection doit être de la plus grande qualité possible et couvrir le plus large spectre en matière de cinéma art et essai. C’est une exigence de l’Union européenne au Maroc, qui répond également à celle du public. Il s’agit de proposer 8 films d’auteurs de 8 pays européens différents qui ont été sélectionnés et / ou primés dans les plus grands festivals de cinéma dans le monde. Le travail s’opère très longtemps en amont pour repérer une centaine de films environ, guetter leurs accueils par les médias et les professionnels dans ces festivals, établir des premières listes très larges et ensuite se procurer les films pour les visionner et juger de leur potentiel de succès auprès de notre public. C’est un véritable travail de fourmi que nous menons avec notre partenaire Europa Cinémas.

On voit une cinquantaine de films au total pour en sélectionner huit. Ce n’est pas parce qu’un film obtient des distinctions prestigieuses qu’il sera forcément sélectionné. Il faut encore que son sujet et son traitement soient suffisamment universels pour toucher notre public. On peut dire qu’on est dans un positionnement de films d’auteurs prestigieux et grand public.

« Juste la fin du monde », par exemple, a dépassé le million de spectateurs en France ces derniers jours. Un film d’Almodovar attire systématiquement des millions de spectateurs à travers le monde. Une Palme d’or aussi est souvent synonyme d’un succès en salles. Un casting de stars permet également de toucher un public plus large. En même temps, nous veillons à accorder une place de choix à la jeune création et à des œuvres qui se distinguent par leur singularité.

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Le siteinfo : Pour cette édition anniversaire, chaque long-métrage sera précédé de la projection d’un court-métrage du Sud de la Méditerranée. Les spectateurs pourront ainsi découvrir de jeunes réalisateurs et de jeunes réalisatrices, venus de Tunisie, du Liban, du Maroc et de Palestine. Au-delà du parti-pris de parité que vous mettez en avant, avez-vous choisi ces films en fonction des thématiques abordées ou selon des critères plus esthétiques?

AH : Les courts métrages sont des premiers gestes de cinéastes en devenir, souvent réalisés avec peu de moyens. Le choix est plus difficile car ils comportent parfois leurs lots de maladresses. Il est rare qu’un court métrage soit complètement abouti. C’est donc plus dans une optique d’encouragement par rapport à un potentiel perçu, un sujet, une sensibilité, une patte très personnelle que la sélection se fait. Nous prêtons attention à la fois aux sujets et à la maîtrise accordée à la narration et à toutes les composantes qui définissent la nature d’un film.

Cette année, par exemple, on peut dire que le film libanais, « Waves 98 », Palme d’or du court métrage en 2015, est une grande réussite. « Aya va à la plage » de MaryamTouzani est également un film d’une belle maîtrise, avec un sujet fort. La qualité de la sélection est diverse mais à chaque fois, on peut dire que les films témoignent, chacun à leur manière, de sensibilités certaines.

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Le siteinfo : En dehors d’un film d’animation et d’un biopic finlandais consacré au champion de boxe OlliMäki, la plupart des films se présentent comme des drames, dans lesquels affleurent souvent, comme dans le cinéma des frères Dardenne ou de Ken Loach, les difficultés socio-économiques de nombre de pays européens. S’agit-il, selon vous, d’une tendance forte du cinéma européen?

AH : Il suffit de se pencher sur les sélections de festivals de catégorie A tels que Berlin, Cannes et Venise cette année pour se rendre compte qu’elles sont dominées par des drames. C’est une tendance mondiale et pas seulement cantonnée au cinéma européen. Les auteurs s’interrogent sur des sujets graves, il s’agit d’autant de regards sur des situations données, qu’elles soient politiques, sociétales ou inscrites dans le cadre de l’intime.

Lorsque Cristian Mungiu décrit l’amour passionnel d’un père pour sa fille et les limites qu’il est prêt à franchir pour qu’elle réussisse ses études, c’est tout le système de corruption de la Roumanie de l’après Ceaucescu dont il offre un portrait saisissant. C’est aussi le cas de Ken Loach qui, à travers les déboires labyrinthiques d’un chômeur dans l’incapacité de travailler pour des raisons de santé mais qui y est forcé par l’administration, dénonce à plus large échelle l’inaptitude d’un gouvernement à mettre en place un système équitable pour les plus démunis.

Ce sont des films graves, très forts, qui interrogent. Mais ce sont aussi des films qui comportent leur lot d’humour et d’espoir. Ou qui, comme « Moi, Daniel Blake », témoignent d’une magnifique solidarité entre des êtres qui n’ont plus rien et qui vont s’entraider jusqu’au bout.

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Le siteinfo : La sélection fait la part belle aux réalisateurs confirmés tels que Marco Bellochio, Ken Loach ou Pedro Almodovar. Pourquoi ne pas avoir choisi de montrer de premiers films de jeunes réalisateurs ou réalisatrices prometteurs?

AH : Réussir un tel équilibre est une véritable gageure. Une déclaration d’intention est ensuite confrontée à une réalité très tangible qui est celle de la production de l’année. Si celle-ci ne comporte pas suffisamment de films de qualité pour tenir ce pari d’équilibre, on ne peut pas s’y plier au détriment de la force de la sélection.

Je tiens quand même à souligner que « OlliMäki » et « La tortue rouge » sont tous les deux des premiers films qui ont concouru pour la Caméra d’or du festival de Cannes récompensant un premier long métrage. C’est le film français de HoudaBenyamina, « Divines », qui a reçu le prix. Mais dans ce cas précis du film devant représenter la France, pour vous donner un exemple, notre choix s’est porté sur « Juste la fin du monde » qui est d’une facture et d’une ambition bien supérieures. Sans rien dénier au film de HoudaBenyamina qui est, par ailleurs, une réussite.

Et rappelons-le, malgré la filmographie déjà bien fournie de Xavier Dolan, cela ne doit pas occulter le fait qu’il s’agit d’un très jeune cinéaste, âgé d’à peine 27 ans. Les premiers films et le jeune cinéma sont donc représentés à travers 3 œuvres sur un total de 8.

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Le siteinfo : Plusieurs films de la compétition sont aussi programmés dans les instituts français du Maroc. Cela ne fait-il pas double emploi?

AH : D’abord, une petite précision, il ne s’agit pas d’une compétition. Nous n’avons pas de jury et nous ne distribuons pas de prix. Ensuite, tous les films, à l’exception des courts métrages, sont présentés en exclusivité dans le cadre des Semaines du film européen. Nous veillons depuis des années, avec les instituts culturels des Etats membres, à ce qu’il n’y ait pas d’interférence entre les différents programmes et que le public les découvrent d’abord aux Semaines du film européen. C’est un travail concerté de coordination.

Ensuite, nous sommes dans un format événementiel qui bénéficie d’une campagne de communication ciblée avec des partenariats médias et des

relations presse qui sont menés par une équipe aguerrie, des pages sur les réseaux sociaux qui sont constamment alimentées, des relais promotionnels auprès des instituts culturels, des salles de cinéma et de certains lycées, écoles et universités. Nous touchons des publics très différents qui ne sont pas forcément les mêmes que ceux des instituts français par exemple. Nous organisons des soirées d’ouverture dans les 4 villes où nous sommes présents. La campagne de communication que nous menons contribue fortement à la notoriété des films sur notre territoire.

De plus, les spectateurs qui les voient dans le cadre des Semaines du film européen participent au bouche à oreille qui ne peut être que bénéfique aux instituts, manifestations et salles qui les reprennent ensuite. Il ne s’agit donc absolument pas de double emploi mais de complémentarité puisque dans notre cas, il y a une seule diffusion par ville (à l’exception de Rabat qui bénéficie de 2 séances en raison de la petite capacité de la salle).

Plus ces films qui sont rares voire inexistants dans les circuits d’exploitation classique bénéficieront de promotion à différentes échelles et seront diffusés, plus on construira, dans un effort collectif, un public dédié encore plus important, qui aura aussi la possibilité de les voir lorsque les instituts culturels des états membres de l’UE les proposeront dans leur programmation.

Le siteinfo : Pour finir, que souhaiteriez-vous à la Semaine du film européen pour son vingt-cinquième anniversaire?

AH : Je souhaite que les films que nous avons choisis pour composer cette sélection exceptionnelle touchent les spectateurs autant qu’ils nous ont touchés et les fassent réfléchir. Xavier Dolan, lorsqu’il a reçu le Grand prix à Cannes en mai dernier, a rappelé, lors d’un discours très émouvant que les artistes, à l’instar des hommes politiques et des scientifiques, pouvaient changer le monde.

Ken Loach, en recevant sa 2ème Palme d’or, a déclaré qu’un « autre monde était possible et nécessaire ». En ces temps troubles, on a plus que jamais besoin de voix qui s’élèvent pour défendre des valeurs humanistes, de progrès et de reconnaissance des minorités.

Je souhaite, enfin, que pour cette date symbolique, le public déjà très nombreux, se mobilise encore plus fortement et notamment le jeune public, que nous nous activons chaque année et celle-ci en particulier, à faire venir en plus grand nombre.

PISTE SFE 2017


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