Culture

L’Enfant Cheikh: le chef-d’œuvre de Hamid Bénani, à voir en salle (vidéo)

Dans ce dernier long-métrage (réalisé en 2012), le réalisateur de Wechma, évoque la résistance qu’oppose la tribu berbère des Aït Atta à l’invasion française, des années 30.

Par Olivier Rachet

Le film met en scène les membres d’une tribu et d’une famille dont le Cheikh va être assassiné par le Pacha, hostile à tout acte de résistance à l’encontre des français. Le père laisse une famille décimée par le deuil et traversée par des tensions opposant la seconde épouse Zahra à Tousha, la fille de sa première femme qui s’est éprise de Ameur, un résistant qui combat ardemment la pénétration coloniale et la violence exercée par les soldats français. Les deux protagonistes masculins du film sont Saïd, le fils adoptif du Cheikh qui sera courtisé par sa belle-mère, Zahra, sous les encouragements de Ijjou, une gouvernante et dame de compagnie, magistralement jouée par Fatima Harandi. Zahra a eu du Cheikh un enfant unique, mal désiré, Ydir, l’enfant qui donne son nom au film.

Des femmes combattantes


Les personnages de ce long-métrage dessinent une constellation de caractères, allant de la fierté d’appartenir à une tribu séculaire à l’ardeur guerrière destinée à résister à l’ennemi. Les hommes assistent souvent passifs à l’histoire qui les décime. Les tribus sont traversées par des tensions de plus en plus vives : entre ceux qui sont hostiles à la présence française et mettent toutes leurs forces pour vaincre ce qui sonnera le glas d’une organisation ancestrale de la société et ceux qui déjà font allégeance au Pacha et se rangent du côté du nouveau Makhzen en train de s’édifier. Les hommes, à l’image de Saïd et de l’enfant Ydir, sont le plus souvent marqués par l’impuissance, tétanisés qu’ils sont par la violence des évènements. Ydir, le futur enfant Cheikh reste désespérément muet à toutes les requêtes qui lui sont adressées. Saïd aura, de son côté, les yeux crevés comme un de ses lointains modèles, le fils de Laïos et de Jocaste, Œdipe, qui accomplira la prédiction d’un oracle en assassinant son père et en épousant sa mère. Saïd, interprété magistralement par Omar Lotfi, assiste, en effet, impuissant au meurtre de son père adoptif qui meurt, sous le regard terrifié d’Ydir, qui représente l’innocence dévastée par la horde de l’histoire.

Mais ce sont les femmes qui semblent, dans le film, assumer, avec courage et détermination, la place laissée vacante par des hommes qui ont été dépossédés de leur force, ou tués dans cette guerre inégale entre une armée dotée d’armes modernes et des résistants armés de fusils obsolètes. Telles des amazones qu’aucun obstacle ne fige, elles prennent le parti de combattre jusqu’au bout, dopées qu’elles étaient par une ancestrale prédiction. Elles organisent, en un matriarcat assumé, la vie de la communauté et élisent, selon cette même prédiction, comme chef, leur dernier mâle survivant qui se trouve être l’enfant Ydir. Si de vives tensions opposent, Zahra et Tousha, jouées respectivement par Sana Mouziane et Farah El Fassi, qui ne sont pas sans rappeler parfois les figures d’Antigone et d’Ismène, il n’en demeure pas moins que les femmes réuniront leur force, sous l’égide de Izza, cheftaine des amazones irrédentistes et Toucha, pour perpétuer le combat mené contre les invasions et les exactions des français. Hamid Bénani magnifie ces combattantes, à travers de nombreux plans rapprochés qui restituent aussi, non sans un certain orientalisme, toute la somptuosité des intérieurs berbères.

Un art magistral du récit

Le réalisateur mêle, en un savant dosage, des scènes d’une grande intimité où les rivalités sont d’autant plus mises en relief qu’elles ont lieu dans un espace clos, celui du ksar, marqué par la promiscuité et la surveillance généralisée, et des séquences de plus grande ampleur dans lesquelles souffle le vent de l’épopée qui est celui de la résistance face à la désagrégation d’une société berbère dont l’équilibre tribal est mis à mal. L’intrigue se déroule, dans les années 30, en pleine vallée du Saghro dans le Tafilalet et la somptuosité des paysages est soulignée par des travellings et des panoramiques audacieux qui rendent à la fois au décor toute sa beauté âpre et en révèle la part d’obscurité.

À l’image de cette grotte, à l’entrée de laquelle se trouve un personnage inquiétant de sourd-muet, et dans laquelle séjourne Ameur qui y entasse les butins de guerre remportés contre l’armée coloniale, composée certes de soldats français mais aussi de tirailleurs marocains et sénégalais, de mercenaires de toutes sortes. On songe aux films de John Ford, qui à l’époque où se déroulent les faits, réalisait dans les décors naturels du grand Ouest américain des westerns qui ont marqué l’histoire du cinéma et dont se souvient Hamid Bénani dont la culture cinématographique nous rapproche parfois aussi du cinéma surréaliste de Luis Buñuel avec lequel il partage un goût pour l’incongru et l’inquiétante étrangeté d’un monde livré à des forces cosmiques qui nous échappent. Admirable séquence dans laquelle un insert de la lune semble présider aux ébats des amants !

Mais toute la beauté du film réside sans doute dans l’utilisation d’une voix off qui n’est autre que celle de Saïd, devenu vieux et aveugle après avoir eu les yeux crevés. Il se transforme en conteur des drames de la vie intime des Aït Atta dont les ancêtres héroïques ont seuls affronté l’avancée coloniale française. Il confie à son fils adoptif les heurs et malheurs d’une histoire en partie occultée par l’épopée de l’indépendance qui en prendra la relève. Les nombreux chants en langue amazigh qui ponctuent le film en font une ode touchante à la culture berbère et à l’esprit de résistance de tout un peuple.

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