Algérie: le régime loin d’être stable, selon un think tank américain

Par LeSiteinfo avec MAP

Le think tank américain, Institut du Moyen-Orient (MEI), basé à Washington, vient de publier une longue analyse sur la situation en Algérie où « deux ans après le début du soulèvement populaire, le régime est loin d’être stable » d’autant plus que les Algériens ne « croient pas trop aux promesses de réformes mises en scène par les mêmes acteurs qui dirigent le pays depuis 60 ans », en référence à l’armée.

« L’accession d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence était censée apporter une certaine visibilité aux dirigeants militaires algériens. Mais depuis qu’il a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle de décembre 2019, le régime est entré dans une nouvelle phase d’incertitude », relève cette radioscopie de la situation actuelle du pays, signée par le journaliste et écrivain, Francisco Serrano.

Selon ce spécialiste d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, « la pandémie du COVID-19, la dissidence persistante, la volatilité politique et l’aggravation du malaise économique ont affecté les calculs de l’oligarchie au pouvoir ».

Et Serrano d’ajouter que « deux ans après le début du soulèvement populaire en Algérie, connu sous le nom de mouvement Hirak, le pays est coincé dans la même impasse qu’il traverse depuis 2019 ».

Le Hirak, qui a éclaté en février 2019 a « changé la dynamique des relations entre l’oligarchie au pouvoir en Algérie et sa population », indique-t-il.

Après avoir rappelé l’éviction de Bouteflika et l’arrivée en 2019 de l’actuel président Abdelmajid Tebboune, au terme d’un scrutin auquel, selon les propres chiffres du régime, seuls 40% des Algériens ont participé, l’auteur relève que « l’armée algérienne, conjointement avec les services de sécurité, est restée le principal intermédiaire du pays. Elle a toujours été cachée derrière la façade des gouvernements civils pour paraître éloigné des affaires quotidiennes du pays ».

« Mais en réalité, l’armée et les différentes factions au pouvoir ont choisi ou approuvé la plupart des présidents du pays depuis l’indépendance. Contrôler la présidence a été un moyen pour l’appareil de sécurité de maintenir son pouvoir sur le pays sans contrôle », poursuit-il, avant de relever que « les présidents algériens sont toujours conscients que la durée de leur mandat est finalement décidée par l’armée ».

et l’écrivain de brosser un tableau noir de la situation de l’Algérie d’aujourd’hui où « le système judiciaire a continué de réprimer les journalistes et les militants impliqués dans le mouvement Hirak ».

Si la pandémie de COVID-19 et la décision du Hirak en mars 2020 d’arrêter les manifestations en raison des risques pour la santé ont donné au régime une certaine « marge de manœuvre politique », des mesures de « verrouillage » étaient adoptées dans tout le pays, « le gouvernement avait une certaine couverture pour poursuivre sa répression politique sans avoir à s’inquiéter des manifestations de masse ».

L’analyse publiée par le prestigieux centre de réflexion basée à Washington revient aussi sur la vacance du pouvoir après le transfert du président algérien en Allemagne pour être traité de graves complications de santé causées par le virus.

« Cela a conduit à la paralysie gouvernementale. Les décisions clés ont été retardées et les mesures de lutte contre la pandémie et de renforcement de l’économie en difficulté ont été reportées », indique la même source.

« L’absence de Tebboune a également affaibli la position de l’Algérie au niveau international, alors que les tensions au Sahara entre le Maroc et le polisario, longtemps soutenu par l’Algérie dans sa tentative d’indépendance, ont éclaté en novembre et que l’administration Trump a reconnu la souveraineté du Maroc sur le territoire », rappelle-t-il.

Les absences de Tebboune ont « déstabilisé le régime de l’intérieur en exacerbant l’incertitude », indique l’expert pour lequel « compte tenu des défis auxquels l’Algérie est confrontée aux niveaux national et régional, il est peu probable que l’armée permette une répétition des dernières années du règne de Bouteflika, dans lequel un président visiblement malade était souvent absent à l’étranger et soupçonné de n’avoir aucun contrôle réel ».

Et d’ajouter que « même s’il se rétablit complètement, il (Tebboune) devra probablement faire face à de nombreux défis en 2021. Bien que dormant, le mouvement Hirak semble loin d’être terminé ».

« À mesure que la pandémie recule, les manifestations contre le gouvernement actuel, ainsi que le régime militaire plus large, retourneront probablement dans les rues de l’Algérie », note-t-il, soulignant que bien que le gouvernement se soit abstenu de recourir à la violence à grande échelle contre les manifestants, « il a utilisé les services de sécurité et le système judiciaire pour les réprimer, notamment en ciblant la liberté d’expression sur les réseaux sociaux et en arrêtant et harcelant les militants ».

« La tentative de Tebboune de positionner sa présidence comme un moteur de changement politique n’est pas considérée comme crédible par une majorité d’Algériens », a relevé l’analyste, en s’attendant qu’ »à court terme, la pression sur le régime augmentera probablement à mesure que la situation économique s’aggrave ».

Sur le front économique, les Algériens ressentent déjà les difficultés croissantes, relève l’analyse. Lors des manifestations de 2011, le régime a été « efficace pour apaiser les revendications en augmentant les dépenses publiques. Aujourd’hui, les finances du pays sont dans une situation bien pire », relève-t-il, en rappelant l’effet combiné de la baisse des revenus des hydrocarbures et des restrictions à l’activité économique visant à enrayer la propagation de la COVID-19 qui a davantage érodé les finances du pays.

Bien que le prix du pétrole ait dépassé les 60 dollars récemment, le Fonds monétaire international (FMI) a projeté que l’Algérie a besoin d’un prix d’environ 150 dollars pour équilibrer son budget. Il est peu probable que cela se produise dans un avenir prévisible.

Dans ces conditions, « il n’est pas surprenant de voir un sentiment croissant de désespoir économique s’emparer du pays », a-t-il souligné.

« La population algérienne et sa volonté de se mobiliser ont radicalement changé depuis les événements de 2019. Le mouvement Hirak a placé le peuple algérien au centre des développements politiques, laissant au régime moins de latitude pour faire face pacifiquement à la dissidence populaire », relève le spécialiste du MENA, ajoutant que l’environnement actuel pourrait facilement accélérer le retour de manifestations dans tout le pays. « Si cela se produit, l’Algérie en 2021 pourrait ressembler beaucoup à ce qu’elle était en 2019 », conclut l’expert.

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S.L. (avec MAP)