Héritage: Abou Hafs a jeté une pierre dans la mare des salafistes marocains

 Par Taoufik Jdidi

La semaine dernière a connu un événement de taille qui a suscité un large débat et une vive polémique dans les milieux salafistes marocains.

Au centre de cet événement exceptionnel se trouve le salafiste éclairé Abdelwahhab Rafiki, plus commun par Abou Hafs. Eclairé, parce qu’il a abordé l’un des thèmes tabous de la chariaâ islamique qu’est la question de l’héritage. Cette disposition coranique indique que les femmes perçoivent la moitié de la part réservée aux hommes. Une règle qui depuis 14 siècles demeure pratiquée dans les sociétés musulmanes ne prenant pas en considération l’évolution sociale et notamment la situation de la femme dans les sociétés modernes. Au vu des différentes positions qui commencent à s’exprimer dans certains pays musulmans, dont le Maroc, par rapport à l’injustice de cette loi coranique, et eu égard aux crispations d’ordre idéologique que cette question suscite, le débat resté très limité, voire évité.

Mais dernièrement, Abou Hafs a tenu à crever l’abcès en se prononçant pour l’ouverture d’un large débat en vue d’innover dans l’approche à suivre pour réaliser une égalité parfaite entre les hommes et les femmes en matière d’héritage. Cet appel n’est pas resté, bien évidemment, sans réponse. Et ce sont des figures emblématiques du salafisme marocain, tels Mohamed Fizazi, Hassan Kettani et d’autres qui n’ont pas hésité de le traiter de tous les noms. Hérétique, apostat, renégat, aliéné, traître, infidèle… ce ne sont là que des spécimens du vocabulaire puisé dans la trappe salafiste.

Abou Hafs persiste et signe. Pour lui, cette question ne peut tolérer plus de mutisme, d’autant plus qu’elle a été longtemps combattue par les milieux conservateurs, tout comme ont été combattues toutes les idées qui se rapportent à l’émancipation de la femme, notamment pour l’interdiction de la polygamie.

Les invectives lancées contre Abou Hafs ont atteint le seuil intolérable des menaces de mort. Cependant, il se montre fort du soutien que lui ont apporté les associations de défense des droits des femmes, des associations de défense des droits de l’homme et une bonne partie de la société civile.

A rappeler que le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) avait en 2015 présenté un mémorandum au gouvernement Bekirane dans lequel, il énumérait un certain nombre de recommandations y compris celle de la question de l’égalité en héritage. Les réactions, alors, étaient virulentes et émanaient même des rangs du parti qui menait la coalition gouvernementale, le PJD en l’occurrence. D’ailleurs en cela, il est resté fidèle à ses positions opposées au plan d’action pour l’insertion de la femme dans le processus de développement qu’avait présenté l’ex-ministre du gouvernement El Youssoufi, Said Saâdi.

Aujourd’hui, le CNDH a envoyé, encore une fois, ce mémorandum au gouvernement El Othmani dans l’espoir de secouer le cocotier et de mettre à niveau la législation marocaine pour être en harmonie avec les conventions internationales. Mais quand on sait que le ministre d’Etat chargé des droits de l’homme, Mustapha Ramid, est l’un des farouches opposants à toute évolution dans ce sens, l’on dira que la question n’est pas prête d’être à l’ordre du jour de l’exécutif. Mustapha Ramid a même été décevant lors de la présentation du rapport annuel devant la commission des droits de l’homme à Genève, lorsqu’il a plaidé pour les spécificités et les particularités des législations dans les pays musulmans, ignorant même les dispositions de la constitution.

En tout cas, Abou Hafs a eu le mérite de remuer les eaux stagnantes de la pensée rétrograde et fait mûrir de plus en plus l’idée de l’ouverture d’un débat serein, sérieux et constructif sur la question de l’héritage.

Mais en attendant, nombreux sont les Marocains qui ont devancé cette loi coranique en partageant équitablement l’héritage entre leurs enfants. La société évolue, les lois doivent suivre.