Houssam Hatim: « Aucun Marocain n’ignore la mort-clinique de notre système éducatif »

A l’occasion du SIEL (Salon International de l’Edition et du Livre) qui vient de fermer ses portes à Casablanca, lesiteinfo a rencontré Houssam Hatim, ancien coordinateur national du « réseau jeunes » au sein de la section marocaine d’Amnesty International, qui publie ces jours-ci son rapport annuel. Actuellement membre du comité consultatif des jeunes, cet étudiant en économie-gestion est aussi chroniqueur.

Par Olivier Rachet

Lesiteinfo : Vous êtes l’un des membres importants de la section des jeunes d’Amnesty International au Maroc. Comment est né votre engagement ?

Hatim : J’ai été biberonné aux valeurs universelles des droits humains. De prime abord grâce à mon père, un fervent défenseur des droits humains lui aussi, puis au collège. J’ai eu l’opportunité de poursuivre mes études collégiales dans un des établissements scolaires soutenus par le projet « Ecoles amies des droits humains » d’Amnesty International – un projet dont le but est de donner aux jeunes les moyens d’intégrer les valeurs et les principes des droits humains dans des domaines essentiels de la vie scolaire, permettre aux jeunes de connaître leurs droits fondamentaux ainsi que leurs responsabilités et de se sentir déterminés à protéger et défendre leurs droits, et ceux des autres en s’appuyant sur des valeurs telles que l’égalité, la dignité, le respect, la non-discrimination et la participation. Dès lors, un rêve se construisait : vivre dans un monde où les droits humains sont respectés. J’y croyais et j’y crois toujours : ne pas vivre ce que l’on croit est malhonnête, pour paraphraser Gandhi. J’attendais l’obtention de mon baccalauréat pour rejoindre Amnesty. Chose faite en Juillet 2014, je cofonde un club de jeunes d’Amnesty de Rabat/Salé, deviens membre du comité consultatif des jeunes d’AI Maroc en 2015, où je siège toujours, et coordinateur du réseau national des jeunes d’Amnesty Maroc pour l’année 2016.

Lesiteinfo : Le Salon du Livre de Casablanca vous avait réservé un espace vous permettant de mieux faire connaître vos actions au public. Avez-vous réussi à sensibiliser les jeunes générations que vous étiez venu convaincre, en priorité ?

Hatim : Amnesty International Maroc (AI Maroc) a choisi « Le Maroc sans censure » comme slogan de sa 20ème participation au SIEL pour sensibiliser les visiteurs aux enjeux de la liberté d’expression et d’opinion et ce qu’elle subit de nos jours, sans précédent, au Maroc, comme dans toute la région, en l’occurrence le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Amnesty saisit l’occasion pour souligner la nécessité d’ouvrir un nouvel horizon culturel fondé sur un engagement commun fondé sur des valeurs humaines communes, dans un contexte qui se caractérise par le rétrécissement de l’espace dédié à la liberté d’expression et l’acceptation des différences. Les journalistes, écrivains et intellectuels, rappelons-le, jouent un rôle crucial dans ce processus en mettant à profit leurs stylos et leur créativité dans la promotion des valeurs humanitaires, la sensibilisation aux droits humains et l’enrichissement de la diversité culturelle.

AI Maroc participe à cette 23ème édition afin de promouvoir l’organisation, ses campagnes et ses activités. Elle prévoit au SIEL depuis déjà deux décennies un espace privé d’exposition, de rencontre avec le public, avec les médias ; des activités de sensibilisation, d’action et de solidarité pour les droits humains. Elle expose également une variété de publications, allant des rapports de pays, des rapports thématiques, des manuels d’éducation aux droits humains, jusqu’aux publications dédiées aux enfants et les instruments internationaux relatifs aux droits humains. Le pari étant de garantir un espace de dialogue entre les écrivains et les défenseurs des droits humains, un forum culturel pour les élèves, les étudiants et les clubs de droits humains dans les établissements scolaires, les jeunes générations étaient effectivement, entre autres, une de nos cibles.

Je crois que nous avons réussi à sensibiliser les nombreux jeunes et moins jeunes qui nous rendaient visite à notre stand. Ce dernier étant un espace de dialogue, des membres volontaires jeunes d’AI Maroc – dont je faisais partie – échangeaient avec ces visiteurs sur le travail qu’effectue l’organisation, sur la situation des droits humains dans le monde et particulièrement au Maroc, et souvent sur des thématiques précises à l’instar de la peine de mort, la crise des réfugiés etc. Nombreux des visiteurs jeunes ont, in fine, manifesté leur volonté de rester informés et contactés par Amnesty International Maroc, dont des dizaines décidant de rejoindre notre organisation qui compte actuellement 7 millions de personnes dans les quatre coins du monde.

Lesiteinfo : En tant que militant associatif, quelles sont les différentes actions que vous menez, en ce moment ? Quels sont vos moyens pour arriver à toucher la jeunesse ?

Hatim : Moult actions et une seule vision : un monde où chacun peut se prévaloir de tous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et dans d’autres textes internationaux. Un monde de paix, de tolérance et de vivre-ensemble. Hormis notre militantisme pour tous les droits humains, on travaille particulièrement en ce moment sur deux campagnes phares : La liberté d’expression et d’opinion ; et les réfugiés, migrants et demandeurs d’asile. De la collecte de signatures des pétitions pour des victimes de violations des droits humains, au plaidoyer, en passant par les sit-in et les marches de manifestation ; des ateliers que j’anime en tant que formateur-jeune aux écoles amies des droits humains, des rencontres, des échanges inter-militants jeunes du Maroc ou d’ailleurs.

Quant à la jeunesse, elle ne se retrouve plus aujourd’hui dans les discours formels : des conférences qui durent des heures et des interventions longues et peu compréhensibles. Me concernant, étant aussi jeune, je crois qu’elle préfère d’autres canaux, et exige d’autres moyens, pour le moins que l’on puisse dire, informels et participatifs. Il me semble que l’art est une arme indispensable pour toucher cette jeunesse, de nos jours, à la croisée des chemins. Nous encourageons les initiatives artistiques et favorisons le recours aux multiples facettes de l’art pour sensibiliser aux droits humains : le théâtre, les concours de dessin, de peinture, de graffiti et de caricature, les projections de films suivies de débats, l’écriture, le chant. Nous projetons également de créer un réseau national d’Artistes pour les droits humains.

Lesiteinfo : Amnesty International Maroc compte-t-elle beaucoup de membres ? Quels sont, selon vous, les obstacles freinant l’engagement citoyen des jeunes générations ?

Hatim : Actuellement, nous disposons d’un mouvement regroupant plus de 50.000 membres et sympathisants répartis dans les régions du Maroc. Quoique le nombre reste encore inférieur à ses attentes, Amnesty séduit ces dernières années beaucoup plus de jeunes qu’auparavant ; et ce, pour la diversité de ses actions et son ouverture aux Nouvelles Technologies de l’information et de la communication (NTIC). Toutefois, nous rencontrons des obstacles pour engager les jeunes : je citerais les programmes d’éducation aux droits humains limités aux écoles, qui produisent des jeunes méconnaissant la culture des droits humains. Ces jeunes sont le produit d’un système éducatif où la mémorisation, le débit de leçons et la livraison de données sont les seuls mots d’ordre. Cet engagement citoyen est perçu comme inutile, inefficace…une perte de temps. Or, une approche d’éducation aux droits humains, dite « approche holistique », c’est-à-dire à la fois dans les classes et en dehors, permettrait à ces jeunes de devenir de puissants acteurs du changement dans leur milieu. Le cas échéant, on se retrouve avec un système éducatif freinant, comme vous le dites, l’engagement citoyen des jeunes générations. C’est dans ce sens où le projet d’ « Ecoles amies aux droits humains », dont je parle plus haut, a été pensé.

Toujours est-il que ces jeunes constatent une incompatibilité entre le discours et la pratique. D’un côté, un discours progressiste des décideurs et politiques, se proclamant défenseurs des droits humains ; et d’un autre, une régression des obligations du Maroc en matière des droits de l’homme, où des violations de grande ampleur des droits fondamentaux continuent d’être perpétrées. Cela se traduit par une déception flagrante, une perte de confiance et le discrédit qui frappe le tissu associatif et la société civile en général.

Lesiteinfo : Vous êtes aussi chroniqueur et avez reçu, en 2015, le prix du meilleur article en ligne pour une chronique consacrée à l’abandon de l’école publique marocaine. Vous semble-t-il qu’au-delà de cette reconnaissance, votre prise de position se soit accompagnée d’une prise de conscience concernant le manque de moyens consacrés à l’école publique ?

Hatim : La prise de conscience est d’ores et déjà présente depuis 1956 avec la création de l’Union Nationale des Etudiants du Maroc (UNEM), l’initiatrice du mouvement syndical estudiantin au Maroc. Même après ce qu’on appelle le printemps démocratique (2011), un autre mouvement national estudiantin, fruit du mouvement 20 février, a vu le jour en 2013, l’Union des étudiants pour le changement du système éducatif (l’UECSE) en l’occurrence, dont je faisais partie en 2015, réclamant des changements nécessaires dans le système éducatif marocain qu’il dénonce. Je crois qu’aucun marocain n’ignore la mort-clinique de notre système éducatif, même les politiques et les décideurs. Il suffit de lire l’axe dédié à l’éducation dans les programmes de tous les partis politiques pour ces dernières élections législatives pour s’en rendre compte. La prise de conscience est là. Ce qu’il nous faut, me semble-t-il, est une réelle volonté politique, (très) loin des miroirs aux alouettes.

Lesiteinfo : Si comme Martin Luther King, vous aviez un rêve à formuler pour la jeunesse de votre pays, quel serait-il ?

Hatim : Je rêve qu’un jour la jeunesse bénéficie d’une éducation en bonne et due forme, différente du terrain de conflits idéologiques, de puritanismes et des idées machiavéliques dont on dispose aujourd’hui. Une éducation axée sur l’échange, la communication, la discussion, suscitant les débats, ouverts et libres, favorisant l’épanouissement de l’étudiant et contribuant au développement de sa personnalité. Je rêve qu’un jour, cette jeunesse s’engage pour des causes supérieures, nobles. Et je me réfère encore une fois à Gandhi, dans le sens où je rêve qu’un jour, cette jeunesse sera ce changement qu’elle veut voir dans son pays, notre Maroc.

O.R.