Chafik Chraïbi: « les chiffres sur l’avortement ne peuvent pas être précis »

Chafik Chraibi ©LeSiteinfo

Chafik Chraïbi est un professeur marocain de gynécologie obstétrique, et un militant réputé qui œuvre notamment pour la prévention et la lutte contre l’avortement clandestin au Maroc. Dans cet entretien, il nous livre un éclairage sur la grave situation que connaît notre pays au sujet des avortements clandestins. Interview. 

Le Siteinfo : Pouvez-vous nous dire si les derniers chiffres sur les avortements clandestins au Maroc, publiés par l’Association marocaine de la planification familiale, sont crédibles ?

Pr ChafiK Chraïbi : Les chiffres ne peuvent jamais être fiables, il n’y a aucune étude qui va donner des chiffres précis, car l’avortement est clandestin. Notre association a fait une étude qui a été publiée sur des revues scientifiques nationales et étrangères, faites directement sur terrain. Déjà dans une étude précédente, l’AMPF parlait de 400 avortements par jour, aujourd’hui en rapportant 50 à 80.000 avortements par an, cela ferait 200 avortements par jour et ils sont bien en deça de la réalité. Ce chiffre, on le retrouverait seulement entre Rabat et Casablanca. Personnellement, je maintiens encore ces chiffres de 600 à 800 avortements par jour. Ceci est facile à prouver: le commun des mortels voit ce qui se passe dans les cabinets médicaux, chez les gynécologues, les généralistes.

Le Siteinfo : pourquoi auront-ils intérêt à amenuiser ces chiffres ?

Pr C. Chraïbi : Ils n’ont aucun intérêt à le faire car nous militons dans le même sens. Les chiffres qu’ils ont apportés sont en effet très optimistes: ils disent que 4% de la mortalité maternelle est imputée à l’avortement, alors que l’OMS donnait le chiffre de 13%, il n’y a pas si longtemps. La faiblesse des chiffres évoqués est due au fait qu’on ne comptabilise que les avortements chirurgicaux, c’est-à-dire par curetage, et que beaucoup de femmes ont recours à des avortements médicamenteux, par des médicaments qui sortent des hôpitaux de façon clandestine et qui sont vendus à des prix faramineux, alors qu’ils ne coûtent rien. En outre, il y a des sites sur internet où l’on peut acheter librement des médicaments pareils, avec mode d’emploi. Alors que par prudence il vaut mieux passer des examens et contrôles médicaux pour faire un avortement légal, sinon c’est la vie de la femme concernée qui est en grand danger.

Je tiens à dire que les grossesses non désirées non pas pour seules conséquences les avortements, mais il y en a beaucoup d’autres tels que les crimes d’honneur, les suicides, les infanticides, les enfants abandonnés dans les rues et les orphelinats, sachant que ces derniers sont généralement des enfants handicapés car leurs mères ont essayé de se faire avorter en vain prenant des substances qui ont donné naissance à un enfant avec un fort handicap psychomoteur dont personne ne veut être preneur.

Le Siteinfo : Que dire concernant le côté juridique?

Pr C. Chraïbi : Nous avons milité dans ce sens depuis des années et avons obtenu jusqu’à présent quatre situations, qui sont viol, inceste, malformation fœtale et handicapé mentale. Malheureusement, ces quatre situations ne règleraient que 5 à 10% de la réalité que vit notre société. Ceci n’est pas suffisant, nous allons continuer notre plaidoyer auprès du prochain gouvernement qui, je l’espère sera plus compréhensif que le précédent pour prendre cet article 453 tout en appliquant le terme Santé tel que défini par l’OMS, c’est-a-dire comme étant un état de bien-être physique, psychique et social.

Propos recueillis par Said Abdessadek