L’exposition-évènement du vidéaste Ismaïl Bahri à Paris (VIDEO)

La Galerie du Jeu de Paume permet au public parisien de découvrir, grâce à une série de huit vidéos, le travail de l’artiste franco-tunisien. Intitulée « Instruments », cette première rétrospective consacrée à Ismaïl Bahri est une invitation à réfléchir sur la lenteur et la fragilité du monde sensible.

Par Olivier Rachet

Le public casablancais avait découvert, en avant-première, lors de l’édition 2016 du festival Masnaâ, la vidéo « Foyer » de l’artiste tunisien. Celui-ci se proposait, à travers un protocole relativement simple en apparence, de capter les effets produits par le vent sur une feuille de papier située face à l’objectif de la caméra. Mais l’expérimentation dépassa les attentes du vidéaste puisque les passants d’une banlieue de Tunis, où la prise de vue s’effectua, n’eurent de cesse de venir l’interroger sur les intentions qui étaient les siennes. La vitalité, mais aussi les angoisses de toute la société tunisienne, après la chute du président Ben Ali, affluaient ainsi autour du foyer d’une caméra devenue le catalyseur des émotions de tout un peuple. On entendait ainsi de jeunes chômeurs, renvoyés à une invisibilité paradoxale, opposer à la peau blanche du cameraman leur peau brûlée par le soleil, par la prison et par la drogue.

Un travail expérimental et intimiste 

Pour autant, cette vidéo sur laquelle se clôt la rétrospective organisée par la Galerie du Jeu de Paume, à Paris, haut-lieu de l’art contemporain, n’est guère emblématique d’une attention qui se porte davantage sur des processus provoqués par une main passée maître dans l’art de créer des réactions physiques ou chimiques de toute beauté. Les éléments tels que l’eau, une feuille de papier glacé, une bobine de fil, des grains de sable ou une page de journal suffisent pour interroger la fragilité des phénomènes qui nous entourent.

L’exposition s’ouvre ainsi sur une vidéo datant de 2011 :

« Ligne », qui projette sur un grand écran un avant-bras sur lequel une goutte d’eau a été simplement déposée. Celle-ci ondoie en fonction des pulsations du sang, témoin du souffle invisible qui anime chacun de nos corps. Dans un monde gouverné à la fois par la vitesse et l’obsolescence programmée, où le flux des informations circule plus vite que les capitaux dématérialisés qui ont transformé l’économie en une puissance destructrice effroyable, Ismaïl Bahri prend le temps d’observer la lenteur avec laquelle une feuille de journal se déplie sur une surface d’encre noire ou comment une simple feuille blanche se consume entre les mains impuissantes, mais démiurgiques de celui qui la tient.

Un atomisme plastique

A regarder les vidéos d’Ismaïl Bahri, on songe souvent aux théories philosophiques matérialistes de l’Antiquité, de Lucrèce et d’Epicure, pour lesquels le monde était composé d’atomes dont la déclinaison produisait le mouvement et créait la lumière. Une série de six vidéos intitulées « Revers », créées tout spécialement pour l’exposition, montrent l’artiste attablé, serrant entre ses doigts des pages de magazine représentant des mannequins posant pour des publicités de luxe. Le froissement du papier glacé dénature tout d’abord l’image qui finit par devenir méconnaissable, mais laisse échapper des rayons de poussière qui colorient, de gris ou de bleu, les mains de l’artiste. Quel monde habitons-nous vraiment ? Celui que nous vantent les magazines de mode et les médias obnubilés par l’immédiateté ou une Nature silencieuse dont les processus de création et de destruction continus restent invisibles à nos yeux éblouis par le culte de fausses images ?

En enroulant, dans une vidéo centrale de l’exposition, intitulée « Dénouement », une bobine de fil noir, dans un paysage enneigé, l’artiste, dont la silhouette ne se détache pas au début de la scène, se rapproche peu à peu de l’objectif de la caméra et nous rappelle combien est sensible et nécessaire le lent processus de la création artistique si l’on veut arriver à voir plus clair le monde qui nous entoure.

Exposition « Instruments » d’Ismaïl Bahri, Galerie du Jeu de Paume, Paris, jusqu’au 24 septembre 2017.