Expo CyTwombly à Beaubourg: quand l’Amérique rencontre le Maroc et la Méditerranée

L’exceptionnelle rétrospective que le musée Beaubourg consacre, à Paris, au plus méditerranéen des peintres américains permet de (re)découvrir une œuvre foisonnante. Souvent peu compris en son temps, CyTwombly nous livre encore des clés pour comprendre le monde qui vient.

Par Olivier Rachet

D’un voyage effectué au Maroc, en 1953, en compagnie de Rauschenberg, CyTwombly (1928-2011) rapporte de nombreux clichés photographiques témoignant de sa passion pour les natures mortes. Un coin de table est ainsi photographié, dans les environs de Tétouan. Les couleurs pastel y semblent comme la patine du temps. Le Maroc fut l’une des premières destinations choisies par le peintre, avant que celui-ci ne s’installe définitivement en Italie. Des toiles telles que Volubilis ou Qouarzazate témoignent des fortes impressions reçues.

Nourri de culture hellénistique, l’artiste puise son inspiration dans les récits fondateurs d’Homère ou d’Hésiode. Les figures d’Achille et de Patrocle, héros de la guerre de Troie, mis en scène dans l’Iliade, sont au cœur de plusieurs toiles des années 60 et 70. The Vengeance of Achilles (La Vengeance d’Achille) fait ainsi face à Achilles Mourning the Death of Patroclus(Achille pleurant sur la mort de Patrocle). Des aplats rouge sang martèlent la toile avec une violence sourde. Le motif se retrouve dans une série de 2005 consacrée à la figure de Dionysos (Bacchus) et réalisée pendant la première guerre du Golfe. Le rouge est cette substance qui fait aussi battre les cœurs qu’enivrer les corps ou laisser éclater la fureur qui nous habite. Plusieurs tableaux sont ainsi placés sous le signe des Bacchanales, ces fêtes dionysiaques au cours desquelles les vins et le sang pouvaient parfois couler à flots.

Permanence dévastatrice des pulsions

L’incompréhension qui a pu entourer la production de l’un des plus grands peintres du XXe siècle réside sans doute dans l’obsession avec laquelle celui-ci ausculte l’ambivalence au cœur des pulsions humaines. Pulsion de mort ou Thanatos au centre du cycle consacré à l’empereur romain Commode (161-192). Réalisé quelques temps après l’assassinat du président John F. Kennedy, NineDiscourses on Commodusreste un cycle incontournable pour qui veut comprendre l’enivrante soif de sang qui anime tout tyran en puissance. Pulsion de vie ouÉros que l’on retrouve dans les nombreuses allusions à Vénus et Bacchus ou dans les toiles solaires du cycle de 2000 Coronation of Sesostris.

Rien ne souligne mieux la passion de l’artiste pour la matière que les sculptures exposées à Beaubourg. Enduites de plâtre, ces planches de bois, ces cordes, ces boîtes énigmatiques sont autant de sarcophages protégés par un linceul marmoréen. In Time Wind Will Come and Destroy myLemons, réalisée à Rome, rattache le travail de l’artiste au motif du Memento mori dont les toiles marocaines disaient déjà la permanence. Le geste créateur de CyTombly est toujours sous la menace d’un dessaisissement ou d’une dévastation annihilant tout sur son passage.

Écrire en peinture

Les poncifs vont bon train quand il s’agit d’aborder l’œuvre peinte de Twombly. Les visiteurs ne sont d’ailleurs pas avares de commentaires ravageurs : « gribouillages », « ratures », « dessins d’enfant ». Loin de nous l’idée de dénigrer ces remarques ou de s’en tirer en évoquant l’enfance de l’art. Il semblerait, au contraire, que le peintre renoue avec l’origine même de la peinture dont le statut fut, dès l’antiquité, lié à l’écriture. « Que le peintre ‘écrive’ ne doit pas tant nous surprendre, écrit le philosophe François Jullien, puisque c’est là ce qu’ont commencé à dire les Grecs en leur ‘graphisme’, grapheinsignifiant originellement inciser une surface, d’une pointe ou d’un couteau, pour y tracer des images ou des signes (…) » (La grande image n’a pas de forme ou Du non-objet en peinture).

Les premières toiles, essentiellement issues de la période marocaine, s’affranchissent à la fois de la couleur et de la figuration pour renouer avec un geste profondément archaïque. On pourrait songer aux graffiti découverts en Italie mais Twombly a souvent écarté ce rapprochement fallacieux. La toile est plutôt conçue comme une paroi que l’on incise, une surface sans profondeur dont on révèlerait les mouvements rythmiques. Dans l’essai qu’il consacre au peintre, Roland Barthes souligne la gaucherie avec laquelle celui-ci travaille ses tableaux. Les graphes, les coulures, les ratures y sont autant de tentatives de percer le mystère de la peinture, en déjouant les attentes du public. L’art sera visionnaire ou ne sera pas !