Culture

Eutopia, l’expo onirique de Mounat Charrat

Pour sa deuxième exposition, faisant suite à celle consacrée à Mahi Binebine, la Galerie Abla Ababou de Rabat nous plonge dans l’univers minéral et cosmique de la plasticienne marocaine Mounat Charrat. Rencontre avec un monde étrange et reposant.

Par Olivier Rachet

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La pierre reste le motif de prédilection de Mounat Charrat qui l’explore sous toutes ses facettes. Au point de départ de l’exposition, une roche découverte dans le Sud marocain. Photographiée dans la main de l’artiste, on croirait être face à un morceau de glaise millénaire, dont le mythe grec de Prométhée raconte qu’il fut à l’origine de la création humaine. Terre argileuse à partir de laquelle se façonnent les sculptures ou la céramique, depuis des périodes ancestrales. En choisissant ce motif de la pierre, la plasticienne accomplit un geste immémorial nous faisant remonter, de la même façon, aux origines de l’univers. Parmi les différents éléments composant la nature, le minéral est sans doute le plus ancien, mais aussi celui qui est toujours en contact avec les autres règnes. Que l’on songe aux galets sous-marins, aux pierres volcaniques, aux aérolithes ; le minéral est en permanence confronté à l’eau, à l’air ou au feu.


Une histoire sans fin

En utilisant la technique du dripping, chère à Jackson Pollock – technique consistant à placer la toile au sol et à laisser couler la peinture – la plasticienne arrive à façonner des univers en mouvement dans lesquels la pierre semble tour à tour animée par des forces centrifuges ou centripètes. On ne sait trop si nous assistons à une déflagration cosmique rappelant les théories du Big Bang, à une éruption volcanique ou peut-être à une remise en ordre d’un monde trop chaotique.

En plaçant l’exposition sous le signe de l’utopie, chère au philosophe anglais Thomas More, Mounat Charrat semble parfois appeler de ses vœux un monde meilleur dans lequel les êtres humains prendraient aussi le temps de regarder, avec un regard neuf et sans doute beaucoup plus humble, le monde qui les entoure. Plusieurs toiles sur châssis produisent ainsi un effet d’interaction entre le minéral et des portraits anonymes, comme si l’homme avait encore beaucoup à apprendre d’une nature qu’il prend plaisir, jour après jour, à saccager et à détruire.

Si l’on prend le temps, comme nous y invite l’artiste, à contempler une simple pierre ; peut-être serons-nous sensibles à la diversité des formes, à la richesse des linéaments qui la composent, à la matérialité même d’un objet auquel les peintres se consacrent, depuis des siècles. Les natures mortes se sont d’ailleurs développées, en peinture, à l’époque de la Renaissance, contemporaine des écrits du philosophe humaniste Thomas More auquel il est ici rendu hommage. C’est une telle révolution copernicienne du regard que nous demande d’accomplir ici Mounat Charrat, en retrouvant le plaisir humble de la contemplation de ce « monde muet » dont le poète Francis Ponge disait qu’il était notre « seule patrie. »

Une conscience solitaire

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Pour autant, la dimension ludique n’est pas totalement absente de ce travail. L’artiste se plaît ainsi à jouer sur les analogies que la pierre entretient parfois avec le visage ou le cerveau humain. En posant côte à côte deux pierres de composition différente, on croirait aussi voir apparaître une montagne, une barque voire un escargot. La multiplicité du monde sensible est aussi un appel à tisser toutes ces correspondances qui sont l’une des raisons d’être de l’art. Savoir quelles résonances entretiennent les différents éléments de la nature les uns avec les autres constitue, sans doute encore, le plus indéchiffrable des mystères qu’aucun algorithme ne sera jamais à même de percer.

Mais il demeure peut-être une analogie plus étonnante encore : celle qui relie le minéral à l’écriture. On sait que les premiers supports de l’écrit furent, depuis l’antiquité, des tablettes ; le plus souvent construites en bois, mais parfois aussi à partir de matériaux tels que l’ardoise ou la pierre. Tel est le cas des Tables de la loi dont parle, par exemple, l’Ancien Testament. L’exposition développe aussi le motif de la tablette coranique – quand bien même le motif de la pierre rappelle aussi la Pierre noire située dans l’enceinte de la Ka’aba, à la Mecque –, à travers plusieurs louhat en bois, nous rappelant combien la matérialité a toujours eu partie liée avec la pensée et le langage. Si l’on perd de vue, à l’heure où les arts numériques font résonner les promesses fallacieuses d’un monde dématérialisé, le rapport intime qui rattache tout homme au bois et au minéral ; Mounat Charrat nous prévient qu’en dehors de la matière, il n’est peut-être aucun salut. Avant de songer à sauver nos âmes, commençons par préserver le monde qui nous a vus naître : l’utopie est aujourd’hui à ce prix !

Exposition [E]utopia de Mounat Charrat, Galerie Abla Ababou de Rabat, jusqu’au 9 décembre 2017.

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